Le duo d’expatriés français Alexandre Aja et Grégory Levasseur, passés maîtres en remakage de films d’horreur cultes (La colline a des yeux, Piranha) outre-Atlantique récidive en ce début d’année en remettant au goût du jour Maniac, le film poisseux de William Lustig. Délaissant la réalisation pour la production, Aja place Franck Khalfoun, acteur en son temps du Grand Pardon 2 (d’Alexandre Arcady, le père d’Aja), dans lequel jouait Jennifer Beals, découverte dans Flashdance, dont le titre phare « Maniac » est un hommage au métrage de Lustig. Ce tour de chaise musicale cinématographique présente surtout l’intérêt de mettre en lumière la méthode Aja, entre recyclage du patrimoine familial et sédimentation d’une culture bis assumée. Mais la déférence à un classique de l’horreur est-elle un gage de réussite ?
Les fans du Maniac original, interprété par un Joe Spinell glaçant, ont poussé des cris d’orfraie quand le nom d’Elijah Wood, estampillé Hobbit, fut confirmé pour enfiler la défroque du scalpeur fou. Avec sa peau diaphane et son visage enfantin, l’acteur est loin d’inspirer l’angoisse que la carcasse de Spinell suscitait dès son apparition dans le cadre. Et pourtant, dans la version 2013, le choix du jeune homme, indolent et presque transparent se révèle être l’une des forces du film. Campant Franck Zito, garçon timide, propriétaire d’une boutique de mannequins défraichie, Elijah Wood se joue du contre-emploi avec brio. Tandis que Lustig avait choisi une narration immersive, collée aux talons de son protagoniste, Khalfoun va encore plus loin en optant pour une réalisation en caméra subjective. Seuls les miroirs renvoient l’image du tueur, le spectateur devant se contenter de plans partiels, une main par-ci, un pied par-là. Si le dispositif s’essouffle au cours du film, il n’en est pas moins une tentative intéressante de voir à travers les yeux d’un meurtrier. La proximité physique avec les victimes, l’effroi face à la mort, l’émoi sexuel provoqué par Anna (Nora Arnezeder), sont autant de moments où la machine cinématographique parvient à reproduire la sensation, le sentiment, bref l’insaisissable chimie des corps en présence. La danse macabre qui inaugure un des meurtres, portée par le titre « Goodbye Horses » (déjà entendu dans Le Silence des agneaux), joue parfaitement sur ces enjeux de mise en scène du charnel, ou comment le corps supplicié et le corps désiré ne font qu’un.
Le monde de plastique qui entoure le personnage fait parfaitement écho à cette théorie de la chair et des pulsions qu’elle suscite. Les nombreux mannequins qui hantent la boutique de Franck incarnent le féminin dans une perfection idéalisée. Et dire que les femmes symbolisent le cœur de Maniac n’est pas un vain mot. La mère disparue, déclencheur de la folie meurtrière du personnage, Anna, vierge immaculée, rédemptrice potentielle et figure expiatoire et les victimes, scalpées. Leur ôtant leur chevelure, quintessence de la féminité, Franck reconstruit un monde matriarcal, dans son antre. Il y habille ses mannequins, les coiffe de ses trophées, leur parle. Encore une fois, le choix de l’immersion s’avère payant, tant la fascination de Franck prend le pas sur l’horreur qu’on devrait légitimement ressentir face à ce spectacle en putréfaction. Mais malheureusement, le métrage s’éloigne peu à peu de la folie de Franck (le moteur narratif et esthétique majeur de l’original) pour s’enliser dans une idylle peu crédible, jusqu’à un final burlesque et scénaristiquement bâclé. Les remakes d’Aja (en réalisation et en production) avaient jusque-là su marier les notions d’hommage et d’originalité, actualisant des films cultes sans en dévoyer la portée subversive. Maniac sur son dernier quart d’heure fait mentir cette règle. Grâce à son caractère délétère et malgré son ancrage très (trop) années 1980, le Maniac de Lustig demeure indéniablement une référence du cinéma bis.