Il ne lui arrive que des malheurs, au pauvre Ahmad. Il est venu du Pakistan à New York pour rendre sa femme et son fils heureux. Mais la première est morte et le second est retenu par une belle-famille peu encline à la tolérance. Il était rock star au Pakistan, il vend du café et des donuts sur une des grandes avenues de la cité inhumaine. Entre des mouvements de caméra on ne peut plus répétitifs et l’atmosphère d’une noirceur trop appuyée pour ne pas lasser, Man Push Cart ne convainc pas dans la peinture d’un monde cruel.
L’image tremble, en permanence. Tout semble secret, caché, indicible, en un mot clandestin. Les lumières sont quasiment absentes du film : la plupart des scènes ont été tournées de nuit, mais même quand le jour pointe le bout de son nez, on est engoncé dans une atmosphère non de tristesse infinie, mais de glauque parfois insensé.
Ahmad traîne son chariot qu’il a acheté à crédit et qu’il rembourse en vendant sous le manteau des films pornographiques. On le voit, tous les jours, par tous les temps, pousser son chariot comme un poids, comme il traîne cette existence morne et peu enviable dont Ramin Bahrani nous fait part. Il porte ainsi toujours quelque chose dans les bras. Courageux, il ne se laisse abattre ni par la mort de sa femme, ni par l’absence de son héritier, et continue son chemin de croix. Avec ses cheveux longs et sa barbe de deux mois, on pourrait presque ajouter à ce tableau impressionnant une référence christique.
Ramin Bahrani insiste donc trop sur le malheureux sort de son héros. À tel point que l’on se demande au bout de quelques temps ce qui va encore lui arriver de terrible, à ce cher Ahmad. On ne plonge pas dans cette noirceur, on l’attend, on la trouve trop lourde et trop proche d’un pathos que Theo Angeloupolos n’aurait pas renié pour en être ému. Cependant, Ramin Bahrani est bien moins inspiré qu’Angelopoulos : il prend le parti de tourner caméra à l’épaule ; mais le réalisme se transforme assez rapidement en mécanique d’un faux naturel.
Dommage… d’autant plus que certains thèmes auraient pu être beaucoup plus développés, comme celui de cette immigration rejetée à New York. Car si Little Italy ou Chinatown accueillent les arrivants, il n’y a pas de quartier pakistanais. Il est seul dans la jungle citadine et, quand une rencontre arrive enfin, elle se meurt dans la lutte des classes. C’est l’image d’une cité dévoratrice qui nous est donnée : Ahmad est un petit être perdu au milieu des grands buildings, une minuscule araignée qui ne se fraye aucun chemin dans la toile urbaine, un piéton qui passe difficilement entre les voitures bruyantes.
On compatit à la triste destinée de cet homme qui n’a pas été béni des dieux à sa naissance, mais cette compassion est davantage créée par les généralités auxquelles elle nous renvoie que par le personnage d’Ahmad, construit sur une noirceur trop pesante pour inspirer un sentiment de réalisme.