Ramin Bahrani s’était jusqu’ici signalé par des fables urbaines et new-yorkaises (Man Push Cart, Chop Shop), on s’étonnera donc de retrouver le cinéaste d’origine iranienne dans cette plongée au cœur de l’Amérique rurale des rednecks. At Any Price débute par des images d’archive en celluloïd traçant à grand trait la lignée familiale des Whipple, du temps du soc de la charrue creusant difficilement son sillon à l’agrobusiness high-tech d’aujourd’hui, dont le slogan est mentionné : « Expand or die » (« s’agrandir ou mourir »). Passé ce prologue, Ramin Bahrani reprend le roman des Whipple de nos jours : une mère dévouée (Kim Dickens), Henry (Dennis Quaid), un père carnassier – confondant notamment un enterrement avec les affaires –, un fils (Zac Efron) lancé dans une carrière de pilote automobile. Et un autre rejeton parti tailler la route à l’autre bout du continent, en Argentine, sentant qu’il était peut-être salutaire de prendre un peu de distance avec le marigot local ; il joue ainsi l’utilité scénaristique, un peu facile, d’un hors-champ centrifuge dans un film centripète.
Car c’en est un, de marigot. Sous le vernis lisse de la famille unie et heureuse, se trouvent bien des aspérités. Le pater fricote avec la blonde du coin, la mère joue les utilités. Quant au fils, Dean, il pourrait bien se tourner vers un destin à la James : la fureur de vivre à pleine vitesse, droit dans le mur. Et voilà bientôt qu’on vient mettre son nez dans la comptabilité et les agissements pas très nets d’Henry le requin, alors que les rivalités commerciales s’exacerbent avec les concurrents du coin. Bref, le bel édifice chancelle franchement : roman familial en péril. At Any Price (« À n’importe quel prix »), comme son titre l’indique, envisage la fin et les moyens de perpétuer à l’âge du GPS une lignée commencée au temps des pionniers, notamment par un père malmené. Ce qui en fait un être blessé, et dangereux, car prêt à toutes les compromissions morales.
Ramin Bahrani mène correctement sa barque – comédiens convaincants (surtout les époux), richesse dramaturgique plutôt bien maîtrisée, celle de l’espace restant par trop intermittente. Et pourtant, on a l’impression d’être face au parangon du film moyen (donc pas bon), faisant son office, mais auquel il manque un supplément d’âme dans la mise en scène pour transcender cette cruelle saga – la fin justifiant tous les moyens, dont l’amoralité la plus totale et le prix du sang, sous couvert du salut familial. Entièrement tournée vers une forme d’efficacité – qui opère indéniablement –, la réalisation souffre néanmoins d’une forme de littéralité qui empêche le film de décoller de son côté terre-à-terre, se situant ainsi bien loin d’une œuvre cosmique, comme Take Shelter de Jeff Nichols.