Meryl Streep et Tommy Lee Jones traversent une crise, ils vont voir le psy Steve Carell pour qu’il réveille leur passion assoupie. Une version sexagénaire du mariage occidental en danger, professionnelle et classique, dont le principal intérêt est d’observer comment l’Amérique utilise et regarde ses vieux héros.
Meryl Streep est une adolescente. Elle s’inspecte devant la glace, tire nerveusement sur sa robe de chambre, ajuste ses cheveux, tapote ses joues. C’est le grand soir, dirait-on, si elle n’avait 63 ans et ne s’apprêtait à retrouver un Tommy Lee Jones de 66 ans. Elle entre dans la chambre avec cet air touchant où se mêlent, incroyablement, la vierge tremblante et l’affectueuse grand-maman. Il bougonne, la renvoie à son lit puisqu’ils font chambre à part pour une obscure histoire d’apnée du sommeil. Meryl n’insiste pas, referme la porte sur le froufrou de sa nuisette et ravale ses larmes en se glissant sous la couette froide de son lit, évidemment immense. La messe est dite. C’est le stade pénible du film familial américain des années 2010, capable d’originalité, d’une étrange sorte de réalisme, mais toujours pataud, particulièrement dans les scènes d’exposition, quand il faut raconter une vie quotidienne, un travail, une famille, un mariage bancal… tout ce qui peut être chamboulé puis résolu en 1h45 environ.
Le fait est là, Meryl s’est réveillée un matin pour constater que son mariage n’existait plus. Elle est bien décidée à le relancer et embarque Tommy Lee dans une semaine de psychothérapie de couple avec un Steve Carell presque aussi lisse qu’un robot. C’est là que le film trouve un petit souffle supportable. Toujours pataud, prévisible, c’est pourtant avec tendresse qu’on peut regarder, dans le même mouvement que les deux stars elles-mêmes, la beauté attendrissante de leurs corps tannés, marqués de souvenirs, comme une revue de cinéma froissée mais où quelques titres se lisent encore. Volonté du réalisateur David Frankel ? De la scénariste Vanessa Taylor, ou du producteur qui a monté le projet, Guymon Casady ? Difficile à dire, mais c’est une chose que réussit le cinéma américain : faire cohabiter un personnage et la propre image de l’acteur qui le joue. Un vieux personnage y est clairement un vieil acteur, particulièrement quand c’est une star qui l’interprète. Regardez Eastwood dans Gran Torino. Le transfert est aussi possible entre des genres, par exemple un acteur de cinéma d’action qui joue dans une comédie familiale ou un drame. Regarder Matt Damon en papa triste dans Nouveau Départ, regardez Schwarzenegger dans Un flic à la maternelle. C’est une chose qui peine à se faire en France, où les acteurs vieillissants semblent psychologiquement se figer peu avant 60 ans. Regardez Arditi, ne continue-t-il pas depuis vingt ans à jouer le beau quarantenaire ? Piccoli ne semble-t-il pas un vieux bougon attachant depuis ses premiers rôles? Vous verrez Bacri dans quinze ans… Il y a des exceptions, douloureuses : comment sera Franck Dubosc ? Ou intrigantes : que sera Poelvoorde ? Et il y a Noémie Lvovsky, qui dans Camille redouble vieillit et cumule seule dans le paysage ce double air si américain du personnage de film (Camille à 16 ans) et du personnage de l’acteur (Noémie à 49 ans, qui n’en revient pas de revivre son passé dans la fable qu’elle organise). Phénomène rare.
Second intérêt de Tous les espoirs sont permis : faire un petit point sur la représentation du sexe et de la morale outre-Atlantique. On l’a vu dans l’image, dès le début : montrer devient un petit peu plus possible. Les vieilles peaux des acteurs, même si l’on ne parle que de visages, si les cuisses et entrejambes ne se frôlent qu’à travers la flanelle du pantalon, se filment plus frontalement. D’une certaine façon, ce cinéma américain des studios ne paraît plus si prude. Les mots – il faudrait dater leur apparition – sortent facilement, on parle de cul sans détours. Mais Tous les espoirs sont permis rappelle également que ces mots ne s’énoncent que dans un cadre strict, très moral, ce qui au passage sape tout à coup l’impression de réalisme évoquée plus haut. Lorsque Steve Carell, face au divan où se tortille de gène le couple en débandade, demande à chacun de décrire leurs fantasmes, Meryl répond qu’elle n’en a pas. Quant à Tommy Lee, il avoue rêver d’une fellation au travail, assis à son bureau… par sa femme. Jamais il n’est même question d’adultère sinon l’évocation d’une vague affaire à trois immédiatement transformée en plaisanterie sans fondements. La sacro-sainte famille est préservée jusque dans l’idée de la menace. Et l’on se demande ce qui, au temps des censures directes, rendait les cinéastes si audacieux. Si occupé à déterminer le juste taux de nudité, de crudité, David Frankel offre à son couple une crise purement théorique, il ne réalise pas à quel point ce qu’il bride, dans cette histoire de mariage en danger, est de l’ordre des idées.