Après plusieurs années à travailler sur les films de Miyazaki dans les équipes du studio Ghibli, et un passage réussi à la réalisation (Arrietty, le petit monde des chapardeurs et Souvenirs de Marnie), Hiromasa Yonebayashi se lance avec Mary et la fleur de la sorcière dans la première production de Ponoc, son propre studio. Si celui qui était à l’époque le plus jeune réalisateur du studio de Miyazaki est désormais indépendant, son style, lui, s’inscrit dans la ligne des productions Ghibli à laquelle il applique quelques inflexions. Comme ses aînés, Mary et la fleur de la sorcière est à la fois un conte initiatique et une fable écologique ; il fait preuve d’une indéniable qualité de fabrication et d’une très belle réalisation, qui nous le rendent familier et aimable avant même de l’avoir totalement exploré. Pourtant, malgré tout son charme et sa fantaisie, son élan narratif plus marqué et sa représentation plus spectaculaire de l’action l’éloignent parfois de la qualité fondamentale de ses modèles : la poésie.
Britanime
Comme souvent dans l’animation japonaise, l’histoire se déroule dans une Europe fantasmée : ici dans une campagne britannique dont Mary et Peter sont les héros. Elle, petite rousse accueillie chez sa tante en fin d’été quelques jours avant la rentrée scolaire, est un adorable fillette pleine de bonne volonté. Lorsqu’elle tombe sur une fleur magique, échappée d’une école de sorcellerie, elle s’imprègne de pouvoirs qui la dépassent et se retrouve propulsée sur un balai à l’entrée de cet étrange lieu. L’univers dépeint ici est immédiatement merveilleux, que ce soit dans la beauté de la campagne anglaise, les couleurs d’Endor, l’école de magie évoquant directement les universités britanniques, ou la naïveté charmante des personnages. Au fil du récit de héros décrits avec patience et attention, on prend plaisir à découvrir la richesse d’un univers à la fois magique et mécanique, aux personnages et monstres plus fantaisistes les uns que les autres.
Un héritier paradoxal
Yonebayashi met en place avec gourmandise un véritable patchwork miyazakien : une fillette sur un balai (Kiki la petite sorcière), une mère sorcière rappelant Yubaba (Le Voyage de Chihiro), un château perdu dans les nuages qui évoque l’amour du maître pour les lieux uniques (Le Château dans le ciel, Le Château ambulant, le ryokan du Voyage de Chihiro). Mary et la fleur de la sorcière s’approprie également le discours écologique de Nausicaä ou de Princesse Mononoke, avec une histoire à la Frankenstein d’un duo de scientifiques rêvant de comprendre et de contrôler les forces du monde mais dépassés par leur invention. Pourtant, le film semble prendre, dans sa forme même, la direction opposée de ses références : un arc narratif plus direct, une répartition claire des rôles, une résolution des conflits par un grand final. Mieux, l’action prend le pas sur l’exploration : à titre d’exemple, les scènes d’envol à dos de balai sont agitées, accidentelles, emballées, elles évoquent moins l’exploration que l’aventure et le danger. Plus spectaculaire, Mary et la fleur de la sorcière donne corps et matérialité au merveilleux, à travers des faisceaux de lumière et de magie, des corps transformés, des mutations à gogo. Yonebayashi, dans un cadre bien connu et magnifiquement reproduit, semble avoir quelque peu perdu en subtilité ce qu’il a gagné en efficacité : Mary et la fleur de la sorcière n’atteint pas la maîtrise et l’équilibre des films du vieux maître, ni les excentricités qu’aurait permis une vraie émancipation. Reste, malgré ce léger écart, que la proposition est suffisamment vivante et la magie suffisamment opérante, pour nous permettre d’attendre avec curiosité des prochaines productions Ponoc.