C’était il y a quelques mois : la bruissante communauté de l’Internet s’émeuvait d’un extrait d’interview de Hayao Miyazaki, où la figure de proue du navire Ghibli énonçait l’évidence : ni Isao Takahata ni lui-même n’étant éternels, le Ghibli connu de tous n’en aurait plus pour très longtemps. Il n’en fallait pas plus pour que les vannes lacrymales s’ouvrissent, que retentît la clameur épouvantée, dans chaque retweet, share et autre reblog – tout cela empêchant de saisir la conclusion des propos de Miyazaki : Ghibli n’est finalement qu’un mot. En 2010, Hiromasa Yonebayashi réalisait son Arrietty, qui permettait déjà d’entrevoir une nouvelle personnalité au sein du studio, une personnalité affranchie de toute influence visible – qui savait, alors, si le nom du réalisateur serait légitimement amené à rallier les admirateurs désemparés des deux créateurs de Ghibli ? Quatre ans plus tard, la confirmation est là : Hiromasa Yonebayashi est un des nouveaux grands de l’animation.
Coups de chapeau
Marnie est pourtant un film sous influence : on n’y compte en effet plus les signes de tête à l’intention du corpus de Ghibli. Le premier emprunt visible l’est à Omohide Poroporo, puisque la scène de l’arrivée d’une citadine chez sa famille campagnarde est presque identique, parfois au plan près. On trouve dans le récit des personnages faisant écho visuellement à Satsuki et Mei de Totoro, ou à la boulangère au grand cœur de Kiki la petite sorcière. Tout est cependant réalisé dans un esprit contraire à celui, servile et systématique, qui animait Les Contes de Terremer. Plus volontiers, y verra-t-on des retrouvailles chaleureuses, touchantes, petites touches de fantaisie dans un récit entièrement dévoué à sa thématique centrale : les tourments de l’âme de sa jeune protagoniste, Anna.
En cela, Marnie fait étrangement écho à Mimi wo Sumaseba, sorti – enfin – en France la semaine dernière, directement en DVD. Il est là aussi question de l’échappée fantastique d’une jeune fille arrivée au seuil de l’âge adulte, la différence résidant dans le fait qu’Anna plonge entièrement dans la fantasmagorie, pour une envolée au lyrisme flamboyant, dans laquelle Hiromasa Yonebayashi donne enfin toute sa mesure.
Aquarelles
Une fois son récit lancé sur ces rails oniriques, le réalisateur lâche prise, dans un mouvement d’une belle maturité narrative. Affranchi de la nécessité de la logique du quotidien, il compose une série de tableaux aux couleurs délicates, à la logique dérivante, jamais pourtant trop loin de ce qui constitue le cœur de son sujet : l’étrange et prenante névrose d’Anna. Les jalons de la résolution du conflit ne seront pas tant égrenés au fil du récit, que dessinés au long de ces tableaux, sans que cela ne soit inintelligible. Déterminé à peindre, au sens littéral, l’intériorité de son héroïne, Yonebayashi parvient à exprimer des choses, plus par les images que par les mots : un authentique impressionniste. On regrettera les derniers moments, par trop explicatifs, qui font pâlir le flamboiement visuel de Marnie : une touche finale dont la lourdeur ne doit pas faire oublier l’envoutante symphonie visuelle qui la précède.