Alors qu’Hayao Miyazaki, l’un des deux fondateurs et réalisateurs emblématiques du studio Ghibli, ne cesse d’annoncer sa retraite (depuis Princesse Mononoke), la question se pose dans l’esprit des amateurs : qui pour prendre la suite de Miyazaki, et celle de son complice Isao Takahata. Au vu des Contes de Terremer, on ne peut guère compter sur Miyazaki fils pour faire autre chose qu’œuvre de copiste appliqué. Au vu d’Arrietty, en revanche, on peut conserver tous nos espoirs quant à l’avenir du studio dans les mains d’Hiromasa Yonebayashi.
L’homme est un collaborateur de longue date d’Hayao Miyazaki (Mononoke, Chihiro, Le Château ambulant, Ponyo), et il a également collaboré avec Isao Takahata pour Mes voisins les Yamada. Autant dire que les risques étaient grands qu’il suive les traces malheureuses, empesées de Goro Miyazaki, le fils écrasé par le legs paternel. Mais il y a quelque chose qui fait d’Hiromasa Yonebayashi un réalisateur à part – un réalisateur, tout simplement.
Adapté d’un classique de la littérature britannique pour enfants, Arrietty conte donc les aventures de la jeune demoiselle du même nom, appartenant à une race humaine lilliputienne, vivant dans l’ombre – et dans la peur – des humains de taille traditionnelle, et tenue de « chaparder » (le terme anglais parlerait plus volontiers, et moins péjorativement, d’ « emprunter ») de quoi survivre. L’aventureuse petite, par son mépris de la traditionnelle ignorance dans laquelle les chapardeurs sont tenus de maintenir leurs cousins géants, va mettre en péril le monde de ses parents.
On aurait beau jeu de s’arrêter aux similitudes entre l’œuvre de Yonebayashi et celles des ténors du studio Ghibli. Pêle-mêle, on repère dans Arrietty des citations de Princesse Mononoke, Mon voisin Totoro (avec la citation intégrale d’une scène entière du film), Kiki la petite sorcière, ainsi que le fond écologiste omniprésent dans Nausicaä. D’Isao Takahata, le nouveau réalisateur reprend à la fois sa très pertinente peinture des caractères, mais également les choix esthétiques d’une représentation des visages très marquée, très travaillée, typiques des réalisations de Takahata (on repense notamment à l’expressivité bouleversante de l’héroïne d’Omohide Poroporo).
Mais, et c’est là ce qui rend Arrietty véritablement bouleversant, le réalisateur nouveau venu ne s’arrête pas à ces citations – qui, d’ailleurs, évoquent plus volontiers un hommage qu’un recopiage servile. Toute une dramaturgie, à la fois dans la mise en scène et dans l’écriture des personnages (un poste qui a échu, notamment, à Hayao Miyazaki), sous-tend le film.
Vainement, au sein d’Arrietty, cherchera-t-on les rebondissements traditionnels des récits d’aventure initiatique : foin de drame, de violence, de bouleversements grandioses propres à forcer l’empathie. Tout tient, dans le film, aux rapports entre les parents et leur fille, entre celle-ci et le jeune garçon humain qui l’a aperçue. Récit initiatique d’une grande finesse, Arrietty se passe des oppositions traditionnelles entre la tradition des ancêtres apeurés et l’esprit d’ouverture de la jeunesse : ce n’est aucunement le propos du film, qui, au contraire, tisse ainsi de précieuses relations entre une mère dévouée et sa fille – une relation qui devient le véritable vecteur de passage dans le monde des adultes pour la jeune demoiselle.
Esthétiquement, Arrietty fait preuve d’une audace et d’une inventivité impressionnantes. Ses deux personnages principaux sont affectés de handicaps qui les placent en opposition au monde : Arrietty est donc lilliputienne, et le jeune garçon, Sho, est affligé d’une grave faiblesse cardiaque. Leur rapport au monde est exprimé par la mise en scène : ainsi, le son est répercuté de façon monstrueuse pour Arrietty, le moindre effort fait danser la vision de Sho. Mais lorsque cette opposition au monde n’est pas clairement exprimée par le réalisateur, c’est un regard d’adoration qui est adopté : si le « style Miyazaki » évoque déjà une élégie à la gloire de la nature, Hiromasa Yonebayashi trouve ici encore un style propre, aux couleurs somptueuses, chatoyantes, d’une beauté bouleversante qui évoque autant le Kurosawa de Rêves que Renoir, ou le Monet des Nymphéas.
Il est indéniable que le réalisateur Hiromasa Yonebayashi a créé son style sous l’influence des maîtres du studio Ghibli, et il est indéniable qu’il a également réussi à développer un style qui lui est propre. Œuvre d’un cinéaste qui sait doser son hommage, l’incorporer à sa narration, Arrietty est un magnifique clin d’œil au passé du studio Ghibli, et la preuve éclatante que le futur de celui-ci s’annonce tout aussi enthousiasmant – sinon plus ? – que son passé.