Angoisse
À n’en pas douter, Maryland est parcouru d’une tension rare dont on ne sort pas indemne. Véritable boule de nerfs, le film nous maintient longtemps en haleine en nous rivant aux sensations exacerbées de Vincent, un soldat revenu d’Afghanistan et souffrant de troubles post-traumatiques. Si on a pu relever à raison les limites d’un cinéma soumis à une subjectivité vaine, notamment en référence à Audiard, il nous semble que chez Winocour, en tout cas au début de Maryland, cette subjectivité a plutôt à voir avec l’intime de son personnage, et qu’elle devient intéressante en se détachant par là de tout cadre scénaristique, en devenant, un peu à la manière d’Under the Skin, une pure expérience sensorielle. À travers le prisme tronqué de Vincent, personnage trompé par ses sens, le réel se voit diffracté, ramené à un doute permanent fascinant, où tout est réveillé et bruisse d’une névrose palpable. C’est la force de la première partie de Maryland, frappante, qui s’ouvre par un travelling sur des soldats au pas de course densifié par la bande son frénétique de Gesaffelstein, et se poursuit durant une longue scène de fête chez un vendeur d’armes, où la richesse du lieu est progressivement contaminée par une anxiété incontrôlable en même temps que très belle. Comme elle le montrait déjà dans son court métrage Kitchen (2005), Alice Winocour est une cinéaste de l’angoisse talentueuse.
Amalgame
Mais le film va alors tenter de transformer cette angoisse presque ontologique en suspense d’invasion movie ou plus encore en simple dynamique de film d’action. Vincent est engagé pour protéger la femme du malfrat, et se retrouve acculé par de mystérieux ennemis dans la grande maison (un peu à la manière du Panic Room de Fincher). Ainsi, ce qui trouvait jusqu’ici à exister dans un décalage se voit réuni : Vincent n’est plus parano, ses sens trouvent un exutoire dans cette menace extérieure désormais bien réelle. On perd évidemment beaucoup dans ce passage au genre, et notamment tout l’intérêt de la subjectivité du film. C’est là sûrement qu’on pourrait reprocher à Winocour de céder à Audiard. Elle replie d’ailleurs son film sur lui-même exactement comme Dheepan en rendant Vincent à la guerre qu’il a quittée (à ceci près que le héros du film d’Audiard ne prend pas autant de plaisir à ce retour du même ; Vincent étant lui frustré de ne pas pouvoir revenir au front). Il y a là un relativisme dommageable qui consiste à ramener tout au même niveau en s’abstenant de décrire chaque situation dans ses particularités. Amalgame et paresse politique.
Inquiétude isolée
Il semble que Winocour se soit aperçue de cette impasse puisque dans le plan qui clôture le film, elle tente de nous replonger dans la névrose de Vincent en nous proposant une dernière image soumise au doute. Mais cette inquiétude, qui aurait pu traduire une certaine modernité de notre regard sur le monde, n’a pas trouvé à dépasser le personnage de Vincent. Diffusées un peu plus tôt dans le film, les images télé d’une jeune Syrienne filmant en caméra cachée les rues de sa ville où chacun est muni d’une Kalachnikov n’y suffiront pas. De même, la description du petit milieu corrompu entre trafiquants et politiques est trop vite effleurée. On ne saura jamais vraiment ce qui se trame dans cette maison ni qui sont ces individus qui tentent d’y pénétrer par effraction. Croulant sous des mystères inutiles, Maryland ne retrouve pas la portée d’Augustine.