Comme chaque année, le Festival de Cannes est l’occasion de prendre le pouls d’une nouvelle génération et d’observer les grandes tendances qui se présentent à nous. L’une d’entre elles a été jusqu’ici peu commentée : l’impact de Jacques Audiard sur la jeune garde du cinéma français. Audiard est peut-être aujourd’hui l’un des rares auteurs hexagonaux contemporains pouvant se prévaloir d’avoir non seulement des ersatz mais aussi des disciples. Deux ans après Rebecca Zlotowski et son Grand Central, Alice Winocour (découverte à la Semaine de la Critique avec Augustine) semble elle aussi pour son deuxième long-métrage marcher dans les pas du réalisateur multi-césarisé. Les deux films démarrent de la même manière : une figure issue d’un milieu populaire (dans les deux cas interprétée par un acteur révélé chez Audiard, Tahar Rahim chez Zlotowski, Matthias Schoenaerts chez Winocour) pénètre à l’intérieur d’un lieu qui va servir de cadre à la fiction (une prison dans Un prophète, une centrale nucléaire dans Grand Central, ici une résidence privée qui donne son titre au film). Cette invitation (le récit commence à proprement parler en franchissant une porte) est la promesse d’un ailleurs dramaturgique à l’intérieur de films qui, d’emblée, semblent souscrire à un programme plutôt balisé : retranscrire le point de vue subjectif d’un personnage (par le biais de poncifs formels – plans de nuques et bande son exacerbée qui tendent à figurer un état mental) et l’ancrer dans un cadre social nouveau (ici des grands bourgeois pour lesquels Vincent, soldat de formation, travaille comme agent de sécurité entre deux missions).
À l’instar de De rouille et d’os, le film multiplie les pistes narratives comme autant de couches qui, accumulées, visent à une ampleur assez rare dans le cinéma d’auteur hexagonal : outre l’horizon de la lutte des classes, Maryland mêle ainsi une histoire d’amour impossible à un récit d’espionnage, mais aussi la chronique d’un soldat atteint de stress post-traumatique à un film d’action (le dernier tiers est même quasiment un film de siège), sans pour autant que ces différentes strates parviennent à communiquer entre elles. Ce grand écart fictionnel pourrait être le signe d’une ambition certaine et d’un appétit de cinéma si le film n’était pas aussi écrasé par le poids de ses influences. Tout, de l’armature narrative au choix de mise en scène (exemple : la tentative d’enlèvement du milieu du film, ouvertement calquée sur la fusillade finale d’Un prophète) porte le sceau d’Audiard, y compris dans le désir de greffer des genres estampillés américains (ici la fiction politique paranoïaque) au corps bien français du drame social. C’est néanmoins ce qui fait, paradoxalement, le sel du projet : voilà un film qui derrière son apparente originalité constitue un cas d’école d’académisme. Maryland va même jusqu’à adopter le versant viriliste d’un cinéma assez peu généreux envers ses personnages féminins : chez Audiard la femme est a) une putain ou b) une estropiée, comme s’il fallait d’abord devoir souffrir – perdre sa jambe, être aveugle, être veuve – pour ne plus seulement être un objet de désir aux yeux du cinéaste. Winocour, dont le premier film avait pourtant été salué comme féministe (y compris à Critikat), cantonne ici la pauvre Diane Kruger à un rôle plutôt ingrat, elle qui n’est malheureusement là que pour multiplier les poses suggestives et émoustiller le bourru Vincent, bloc de muscles et de testostérone. On attend donc de découvrir Dheepan, présenté dans quelques jours, pour voir dans quelle direction iront à l’avenir ces jeunes cinéastes audiardisés.