Lorsque le film avait été projeté à la Mostra de Venise en 2015, nous nous étions fendus d’un petit billet faisant état de notre grand scepticisme face à ce drôle d’objet cinématographique qu’est Mate-Me por Favor. Un peu moins de deux ans après cette projection en festival, le long-métrage d’Anita Rocha da Silveira trouve – enfin – le chemin des salles françaises et offre la possibilité de se replonger dans ce film hybride, pétri de références cinématographiques et de culture pop, dans lequel on pourrait ne voir qu’un avatar horrifique de plus du teenage movie américain et qui est pourtant bien plus que cela. Déjà, son origine (une coproduction argentino-brésilienne) et la ville où il a été tourné (Rio de Janeiro) ne constituent pas qu’un arrière-plan exotique mais participent pleinement à la constitution d’un univers singulier, autant d’un point de vue formel (choix des cadres, utilisation des filtres de couleurs, ancrage de l’action dans cette métropole brésilienne faite de contrastes sociaux et architecturaux) que narratif (un slasher classique qui se délite rapidement sous le poids des interdits sociétaux pour atteindre une certaine abstraction). Le pari était osé car risqué : trop tape-à-l’œil pour certains avec son esthétique MTV et la beauté suspecte des actrices, probablement trop contemplatif pour les spectateurs avides de sensations fortes et en quête d’un rythme soutenu de bout en bout, Mate-Me por Favor sait distiller un saisissant mystère derrière ses apparats de film de genre.
Like me
Dès les premières scènes du film, Anita Rocha da Silveira pose ce qui constituera l’un des enjeux du film : le rapport que chacun entretient avec son image publique. Une adolescente est seule face caméra, en marge d’une soirée animée qu’elle finit par quitter pour rentrer chez elle au beau milieu de la nuit. Le silence assourdissant des lieux qu’elle traverse fait monter l’inquiétude : bientôt, la jeune femme se met à courir comme si quelque chose en hors-champ la poursuivait et dont on ne sait pas s’il est réel ou le fruit de son imagination. La même scène d’ouverture visage face caméra se répète avec Bia, une autre adolescente, qui, au lieu de subir le même sort que sa collègue, constituera tout le long du film notre porte d’entrée vers une série de meurtres inexpliqués qui ne cessera de frapper un lycée des quartiers ouest de Rio de Janeiro. Plutôt que de rester calfeutrées chez elles, les lycéennes du film vont enquêter mollement, s’approprier superficiellement l’identité et l’histoire des victimes par le biais de leurs comptes sur les réseaux sociaux, élaborer des théories farfelues et traîner leur spleen adolescent totalement coupé du monde adulte (qui ne trouve ici aucune incarnation, circonscrit au hors-champ). Difficile de ne pas penser à It Follows de David Robert Mitchell sorti début 2015 : l’absence de tout représentant de l’autorité – parentale, scolaire, policière -, la découverte des premiers émois sexuels qui se conjuguent avec paranoïa et l’utilisation des grands décors citadins désertés forcent la comparaison. Pourtant, c’est tout autant du côté du cinéma horrifique italien des années 1970 que Mate-Me por Favor renvoie : du kitsch assumé de certaines séquences érotiques en passant par le poids excessif – et tourné en dérision – de l’interdit religieux, la réalisatrice s’en donne à cœur joie, la prédominance du rose et du bleu dans certaines séquences-clés convoquant même l’heureux souvenir de Suspiria de Dario Argento.
La belle est la bête
Si le film donne à ce point l’impression de cannibaliser ses modèles, c’est que Bia, l’héroïne malmenée par son petit ami catholique qui ne voit pas d’un bon œil leurs relations sexuelles avant le mariage, semble peu à peu perdre de sa matérialité sous nos yeux et se repaître de tout ce qui l’entoure pour tenter de trouver une identité. À l’image du récit qui se délite, empruntant plusieurs chemins scénaristiques qui sont autant de voies sans issue, la jeune femme semble vivre un rêve éveillé : sa présence est évanescente, son phrasé flirte à plusieurs reprises avec le jeu blanc tandis qu’elle cherche la proximité physique des victimes du tueur en série, comme si c’était le seul moyen pour elle de reprendre contact avec la réalité. Il faut dire que les prises avec le réel sont le plus souvent déconcertantes : de l’inexistence des parents et du corps professoral aux espaces citadins totalement désertés, le seul référent adulte semble être une illuminée en robe sexy qui chante ses prêches moralisateurs comme on irait au karaoké. Mate-Me por Favor tire sa force de ne tenter de répondre à aucune question, peu préoccupé de retomber sur ses pattes et laissant ses personnages, tels des zombies, errer sans but : certains jugeront sûrement que cette désinvolture colorée est une forme d’esbroufe. On pourra leur répondre qu’elle est au contraire la marque d’une autrice aux choix esthétiques affirmés qui s’inspire de la transition adolescente pour produire une sensation d’évanouissement permanent.