Il suffit de regarder le générique de Mémoires d’une geisha pour comprendre à quel point l’adaptation de ce best-seller d’Arthur Golden, publié en 1998, est un énorme foutage de gueule. Sur le canevas classique de l’ascension parsemée d’embûches d’une petite fille pauvre arrachée à sa famille et qui deviendra, une fois adulte, la légendaire geisha Sayuri, le roman a su captiver un lectorat majoritairement féminin, passionné par de foisonnants détails sur l’un des symboles les plus fascinants de la culture traditionnelle japonaise. L’inévitable adaptation cinématographique, signée Rob Marshall (Chicago) et co-produite par Spielberg (qui a songé, un temps, réaliser le film lui-même) est l’exemple type du mépris d’Hollywood pour les cultures étrangères au sol nord-américain, pétri de stéréotypes et de condescendance, à la limite du racisme le plus primaire. Les relents colonialistes dont certains producteurs ne se sont manifestement pas encore débarrassés s’expriment ici en premier lieu dans le choix des trois actrices principales. Certes, Zhang Ziyi (Tigre et Dragon, 2046), Gong Li (Épouses et concubines, Adieu ma concubine) et Michelle Yeoh (Tigre et Dragon, Demain ne meurt jamais) sont des femmes sublimes et d’excellentes actrices. Peu importe qu’elles soient chinoises : pour les décideurs, seul compte leur potentiel bankable auprès du public américain. Une paire d’yeux bridés est-elle suffisante pour faire passer une Chinoise pour une Japonaise ? Évidemment, le problème n’est pas tant dans la nationalité des interprètes que dans ce que ce choix révèle de l’attitude de Rob Marshall et de ses compères vis-à-vis du sujet de leur film, à savoir la primauté de l’esthétique hollywoodienne sur la véracité historique. Est-il nécessaire de préciser que le scénario ne s’embarrasse pas d’une quelconque crédibilité linguistique ? Les pauvres comédiennes, qui ne maîtrisent pas la langue anglaise (en dehors de Michelle Yeoh) sont contraintes de réciter leur texte phonétiquement, ajoutant ça et là quelques mots en japonais pour faire local. Malgré leurs efforts, les pauvresses sont aussi expressives que des marionnettes.
On pourrait pardonner à Rob Marshall ces fautes de goût s’il avait la moindre idée de ce qu’il doit filmer. Mais il suffit pour le réalisateur de quelques kimonos, de cerisiers en fleurs et d’une musique lourdement japonisante pour signifier au spectateur que nous sommes dans le Japon de l’avant-guerre. D’une bêtise abyssale, le scénario réduit les geishas à d’hystériques intrigantes, sortes de self-made-women qui doivent préserver leur pouvoir si elles veulent survivre dans une société patriarcale et machiste. Tout cela est en partie vrai mais foncièrement réducteur. La question féministe est traitée en surface, tout aussi édulcorée que la description des rites qui constituent, en premier lieu, la fascination qu’exerce le mystère des geishas sur nos cultures. Filmés comme dans une publicité pour déodorants, ces rituels offrent une fois de plus un point de vue éminemment occidental, obsédé par l’explication et la rationalisation quand précisément, le spectateur devrait être invité à ressentir au lieu de bêtement chercher à comprendre (seule réussite du film, une scène de danse d’une minute trente parvient vaguement à émerveiller). Dans ce décor factice d’un Japon pour touristes tel qu’il pourrait être recréé à Las Vegas, les geishas de Rob Marshall sont aussi énigmatiques qu’une bande de lycéennes californiennes. Aussi, difficile de ne pas pouffer de rire quand, l’air outré, le cinéaste pointe du doigt l’intrusion des Américains au Japon, forcément présentés comme des rustres libidineux. C’est un peu l’hôpital qui se moque sans vergogne de la charité… Difficile de croire au choc des cultures alors que les personnages s’expriment en anglais depuis le début du film !
Ampoulé par un scénario risible qui considère qu’une petite fille de 10 ans peut tomber amoureuse d’un homme de vingt ans son aîné et construire toute sa vie dans le seul but d’être un jour son épouse, Mémoires d’une geisha n’est rien de plus qu’un mauvais mélo qui empeste l’eau de rose. Ce qui ne parvient même pas à couvrir l’odeur de merde qui accompagne l’idéologie de ce film atrocement vulgaire.