Scénariste adaptateur des aventures romanesques de Jason Bourne, Tony Gilroy enfile la casquette de réalisateur en lorgnant plus que jamais vers les thrillers paranoïaques des années 1970, mettant en scène la lutte d’un juriste contre les gros clients peu scrupuleux dont il est censé protéger les intérêts.
Le début est un flash-forward parsemé de détails intrigants et d’ellipses discrètes. On découvre le personnage de Michael Clayton, juriste à sang froid, méthodique et compétent, mais non dénué de zones d’ombres et de problèmes personnels. Après avoir travaillé à arrondir les angles dans une affaire délicate, il part en voiture pour une destination qu’on ignore encore. En chemin, il fait une pause, en proie à un désarroi inexpliqué. Sur ce, sans crier gare, la violence survient. Retour en arrière, le film peut vraiment commencer… Si cette entrée en matière est efficace, elle annonce aussi les maniérismes de fond et de forme dont le film va s’encombrer en cherchant à atteindre le niveau de tension dramatique de lointains modèles de films hollywoodiens à charge, entre Network et Les Trois Jours du Condor. Ainsi, peu avant sa fin, il boucle la boucle en rejouant cette scène inaugurale dans son intégralité. Le spectateur en connaît l’issue, pourtant Tony Gilroy joue l’innocence et fait mine d’instaurer un suspense factice tout en montrant une propension un peu vaine à démontrer la manière alambiquée dont il parvient à ce climax.
Brouillon de thriller humaniste
Le film pâtit d’une manière générale de la confiance excessive de Gilroy dans sa maîtrise narrative et dans la bonne foi de son discours. Michael Clayton (Clooney, très correct) est un fixer, un homme de loi au service d’un gros cabinet d’avocats, chargé de régler les contentieux avant qu’ils n’arrivent aux tribunaux — autrement dit, étouffer les affaires. Gilroy ambitionne de mettre en scène le drame humain de ce « tueur à gages » juridique qui réalise le caractère révoltant de sa besogne et cherche le rachat en se retournant contre un de ses plus gros clients qu’il sait malfaisant. Premier embarras : les repères de sa rédemption, de sa lutte d’homme seul contre les puissants et ses propres collègues, sont si peu crédibles que l’enjeu du film en devient tout juste hypothétique. Le héros apprend la vérité sur son client de la bouche d’un avocat qui avait également couvert les turpitudes de celui-ci, caricature d’illuminé omniscient incarnée par un Tom Wilkinson plus cabot que jamais. De même, Gilroy tente péniblement d’humaniser ses adversaires au bras long en la personne de leur conseillère juridique, une boule de nerfs qui semble regretter d’être à sa place, face à une situation qu’elle ne maîtrise pas vraiment, rôle porté du mieux qu’elle peut par une Tilda Swinton au talent mal employé. Tant de maladresse dans la peinture des personnages, entre schématisme et sensiblerie, contribue à grever la tension dramatique du film, à laquelle le cinéaste semble pourtant croire assez pour vouloir en appuyer le premier degré, par le sérieux du jeu d’acteurs et par l’esthétique.
Car Michael Clayton, brouillon de thriller humaniste porteur de vagues enjeux de société, se signale surtout par une forme qui se cherche entre clichés de l’intimisme contemporain (Clooney marchant seul au crépuscule, accompagné d’une musique atmosphérique) et découpage lorgnant vers les trépidations paranoïaques d’un film d’Alan Pakula. Que ce soit par la surdose de montage alterné ou de dialogues raccordant deux scènes, superposant les informations sans jamais en tirer l’épaisseur attendue, ou par ses longs plans contemplatifs cherchant à percer l’intimité de l’homme Michael Clayton, le film dilate son temps, comme si de sa durée dépendait l’efficacité du récit, mais ne réussit qu’à étaler le caractère conventionnel et les motivations opportunistes de son discours. Cette forme référentielle semble mendier un contenu et une pertinence qui ne lui appartiennent pas, animé de bien moins d’enjeux que les aînés des années 1970 vers lesquels il lorgne. Sydney Pollack a beau figurer au générique, sa présence ne saurait faire de Tony Gilroy un de ses disciples, même putatif. D’une durée de deux heures alors qu’il aurait pu facilement s’épargner une demi-heure, Michael Clayton laisse surtout, au bout du compte, l’impression d’un déploiement de moyens plutôt excessif en regard de la médiocrité des ambitions et du résultat.