Après son premier film (Douze hommes en colère, 1956), Sidney Lumet ne cessera jamais tout au long de sa carrière – de L’Homme à la peau de serpent (1959) à Jugez-moi coupable (2005) en passant par Un après-midi de chien (1975) – d’œuvrer au cœur de la justice des hommes en mettant autant à l’honneur des bandits débutants, des policiers intègres, des psychiatres enquêteurs, etc. En 1976, il livre sa vision du monde télévisé avec une Faye Dunaway en directrice de programmes sans scrupules, un William Holden directeur de l’information dépassé, un Robert Duvall prêt à tout pour accéder au pouvoir suprême. L’armada médiatique avec ses coups bas et ses crises hystériques en vue de garder audience et audimat reste d’une troublante actualité trente ans après sa sortie.
Un journaliste vieillissant (Peter Finch) perd quelques points d’audience et se voit licencié. Désespéré, il annonce son suicide lors de son dernier journal télévisé et compte mettre fin à ses jours directement devant des milliers de spectateurs. Il se rétracte cependant mais l’annonce provoque chez le public un regain d’intérêt pour cet homme en colère. Devenu prophète médiatique, il anime alors un journal hors norme où des voyantes prédisent l’avenir politique des États-Unis. Parallèlement à cette montée en puissance de « l’info show-biz », la directrice des programmes de la chaîne propose des documents mi-fiction mi-réalité sur des terroristes. Succès garanti.
Network signifie « réseau » en français. Les protagonistes assurent effectivement qu’une toile se tisse autour du média télé, ici la chaîne UBS, et que ce média tisse à son tour une terrifiante toile d’araignée sur un public obéissant. Et le public est ici réduit à peau de chagrin, n’apparaît qu’en foule, anonyme, et exécute des ordres. Il crie sa hargne d’un gouvernement véreux mais reste consciencieusement derrière l’animateur vedette qui sombre progressivement dans la folie. La rue est de fait fort peu filmée, sauf au début lorsque Max Schumacher (William Holden) annonce son éviction à Howard Beale et le confronte à son potentiel public. Justement, bien peu de passants circulent. Les deux hommes sont presque seuls. Network est alors surtout un film d’immeuble – celui de la chaîne UBS. Notons qu’aucune télévision n’avait à l’époque accepté le tournage dans ses locaux et que l’immeuble souvent filmé en contre-plongée est celui de la MGM, à New York. Film d’immeuble, de bureaux, de pièces, un film qui use avec maestria du cadre, de l’encadrement, de la boîte finalement, pour mettre en évidence l’omniprésence de la télévision — la petite lucarne — dans la vie quotidienne. Certains plans d’immeubles soulignent les alignements de fenêtres, alors perçues comme de véritables écrans.
Comment ne pas penser à un film comme La Mort en direct de Bertrand Tavernier ? Lorsque la télévision est la réalité — il faut alors penser comme elle — et instaure sans état d’âme la contre-culture, les événements dramatiques (faits-divers, braquages…) sont jugés suivant leur potentiel audimat-audience. La télévision-parc d’attractions doit lutter contre l’ennui et paradoxalement pour contrer ce fléau moderne, la vision du quotidien (télé-réalité) magnifiée par un montage, des ellipses, des ralentis, des musiques, des people éphémères, occupe l’attention et ne laisse pas place à la réflexion. Diana Christensen, la directrice des programmes, l’a saisi et décide de concevoir des projets qui occupent le téléspectateur. « Une audience de 30 et un audimat de 20 », voilà ce qu’elle attend de la vie, indifférente à la douleur, insensible à la joie. Ironiquement, cette Diane chasseresse porte le Christ en son nom et espère trouver des prophètes pour sa nouvelle religion. Les couleurs jaune-rouge-orange-roux tournent alors autour de Faye Dunaway, autant pour la mettre en évidence dans la composition du plan que pour souligner sa pointe de folie et sa vision perverse du système.
Les discours affluent dans ce Network, pour dénoncer, annoncer, proclamer, promouvoir. Et certains d’entre eux ont gardé une force argumentative qui fait froid dans le dos. Une voix off masculine ouvre, soutient et clôt le film, jouant d’une neutralité vocale qui assure l’horreur de ces délires médiatiques. Film très peu diffusé à la télévision depuis trente ans, Network a remporté quelques récompenses prestigieuses : Oscars de la meilleur actrice, du meilleur second rôle masculin, du meilleur scénario, et mérite que le téléspectateur se mue en spectateur.