Tourné quelques mois seulement après le scandale du Watergate, Les Trois Jours du Condor adaptent le roman écrit par un journaliste d’investigation, James Grady. Robert Redford, simple employé de la CIA, poursuivi par une force invisible, parcourt New York en quête d’un retour à l’ordre qui semble relever d’une époque révolue.
En pur produit de son époque, Les Trois Jours du Condor sont à ranger dans la série des films paranoïaques, aux côtés de Marathon Man (John Schlesinger, 1976), Conversation secrète (Coppola, 1974), À cause d’un assassinat ou Les Hommes du président (Alan Pakula, respectivement 1974 et 1976). Dans tous ces films profondément imprégnés du scandale du Watergate, un homme seul se trouve au centre d’une conspiration dont il ne cerne ni les enjeux, ni l’ampleur. « Condor » est le nom de code du jeune écrivain Joseph Turner (Robert Redford) qui, pour gagner sa vie, occupe, au sein de la CIA, une fonction qui pousse assez loin la défiance généralisée. Son emploi consiste à lire toute la littérature d’espionnage mondiale afin d’y découvrir d’hypothétiques messages codés qui impliqueraient de possibles menaces extérieures à l’encontre des États-Unis. Un jour, le danger prend corps, bien réel. Son origine, en revanche, est plutôt inattendue. Parti acheter à déjeuner, Joseph Turner retrouve les cadavres de toute l’équipe de sa minuscule et confidentielle antenne des services secrets. Lorsque l’on mène une vie de mensonge et de dissimulation, comment savoir à qui confier la vérité le jour où cela devient vital ?
Comme le publicitaire casanier interprété par Cary Grant dans La Mort aux trousses (Hitchcock, 1959), Turner apparaît au premier abord comme un « John Doe » insignifiant, risible sur sa mobylette, faisant preuve d’un humour potache pas toujours apprécié de ses collègues. Bref, comme le Roger Thornhill imaginé par Hitchcock, Turner voudrait simplement manger les sandwichs qu’il a achetés pour le déjeuner, et non pas démanteler toute une machination qui implique les plus hauts représentants des institutions américaines. Comme Cary Grant, il ne veut pas croire à ce qui lui arrive et reste persuadé pendant une bonne partie du film que tout ce malentendu prendra fin bien vite quand il aura trouvé la bonne oreille pour l’écouter.
Dans son aventure, Turner apprend progressivement qu’il ne sait rien sur personne, qu’il aurait bien tort de faire confiance à quiconque, et que le Bien et le Mal sont somme toute des notions bien galvaudées. La paranoïa devient alors la seule attitude apte à assurer sa survie. Tout ce qui l’entoure se mue en objet de méfiance, jusqu’à une femme qui pousse un landau. Craignant le danger partout, Condor s’engage dans une fuite permanente dans la ville de New York, filmée comme un espace abstrait, peuplé de décors aux contours géométriques, comme le musée Guggenheim ou le grand hall de la CIA. La plupart des toiles de fond sur lesquelles évoluent les personnages évoquent des ramifications : les branches d’arbres sans feuilles, une grande carte du monde clignotante, les lignes téléphoniques, les grands réseaux autoroutiers. Dans cet univers, tout est prévu pour la communication, mais il est paradoxalement difficile pour l’Homme de trouver des repères. L’utilisation des fonds flous ou en aplats unis tendent à rendre plastiquement l’impossibilité pour les personnages à s’inscrire dans un monde habitable, un monde à taille humaine, un monde qui redeviendrait, comme avant, compréhensible. À mesure que le personnage s’enfonce dans un mystère de plus en plus insondable, le spectateur plonge lui aussi dans les méandres d’une fiction qui emmêle ses fils sans jamais les débrouiller tout à fait. Pour suivre le Condor, il faut prendre plaisir à se laisser bringuebaler avec lui, quitte à ce que l’aventure se termine en forme de point d’interrogation.