Daniele Ciprì officie cette fois sans son compère Francesco Maresco avec lequel il a notamment réalisé Totò qui vécut deux fois et Le Retour de Cagliostro. On ne va pas interdire au cinéma italien de revisiter le patrimoine représenté par ses fameuses comédies, mais on serait tout de même tenté de le faire concernant celui qui a commis Mon père va me tuer.
Par quel bout prendre cette aberration que constitue Mon père va me tuer ? Son dispositif narratif ? Un type à la mine grise attend au bureau de poste et prend en charge la narration une histoire que l’on visualise ; un dispositif qui ne fait que préparer l’affligeant twist final – affligé, on l’était depuis bien longtemps. Son casting ? Le très […] très […] très pénible Toni Servillo en tête dans le rôle du père, un concours d’overplaying criard et exténuant, sauf le narrateur (on comprend qu’il s’agit du fils) jouant la carte inverse. Son esthétique ? Au présent, une photo froide et bleutée ; au passé, une patine granuleuse et cuivrée – des partis pris qui bouleversent par leur originalité. Une performance qui a, en tout cas, charmé le jury de la dernière Mostra, accordant le Prix de la meilleur contribution technique à Ciprì (chef opérateur de Marco Bellocchio dans la vie normale !) ; il faut dire que nous n’étions plus à ça près lors de cette sinistre édition…
Le triste sire de la poste narre donc son histoire, celle d’une famille populaire sicilienne baignant jusqu’au cou dans une grande farce grasse filmée à la truelle. Des gens modestes qui ne s’en laissent pas compter, s’autorisant même la plage le dimanche. Ils ont des grandes gueules, des drôles de tronches dont des gros nez, certains affichent évidemment un énorme bide. Les femmes parlent fort par les fenêtres en étendant le linge, les hommes désossent des bateaux rouillés. Arrivant d’on ne sait où, un affreux drame se produit. La fille se fait assassiner par la mafia, peu regardante. Alors qu’on pensait qu’il était impossible de forcer encore le trait de la réalisation, Daniele Ciprì, sortant un nouvel atout de sa manche sans fond, y parvient sans mal : le ralenti. La farce reprend ensuite. Cette famille va se retrouver à la tête d’un petit magot constitué par l’indemnisation d’État consacrée aux victimes de la mafia. Le meurtre d’une enfant est donc le prétexte à un conte moral sur la cupidité, idée absolument lumineuse, et d’un goût très sûr.
La laideur de la réalisation est doublée par celle du regard porté sur ce bon peuple pittoresque, à l’aise dans la connerie, seulement digne et héroïque dans le malheur. Au pays du néoréalisme et des comédies de Mario Monicelli (auquel Ciprì a consacré des documentaires, ce qui en fait une sorte d’héritier auto-proclamé), on se croit coincé dans un mauvais rêve. Et coincé, le cinéma italien l’est, toujours plus à contretemps par rapport à son présent – suggérons, après Reality de Matteo Garrone, qu’il doit s’agir d’une sorte de concours lancé entre plusieurs cinéastes transalpins. Bref, que faire de l’argent ? Évidemment un achat stupide, dont le père devient une sorte d’esclave : une grosse bagnole rutilante qui va précipiter ce petit monde dans un nouveau drame. Car, en effet, c’est bien connu, les gens du peuple, en plus d’être décérébrés, sont faits pour rester pauvres, l’argent leur porte malheur – bis pour Reality. Mon père va me tuer retourne in fine à la tragédie – inutile de préciser le ridicule de la séquence. Enfin arrivé au bout du calvaire de la projection, au cas où on croiserait Daniele Ciprì, on a simplement envie de savoir comment on dit «dégueulasse» en italien : schifoso !