On a découvert hier (vendredi 31) en section Orizzonti un film italien imparfait mais dotée de belles qualités, Gli Equilibristi d’Ivano De Matteo. Aujourd’hui, la cinématographie nationale a montré un tout autre visage, le pire, avec la présentation en compétition officielle d’È Stato il Figlio de Daniele Ciprì, officiant cette fois sans son compère Francesco Maresco (Totò qui vécut deux fois, Le Retour de Cagliostro). Par quel bout prendre cette aberration ? Son dispositif narratif : un type à la mine grise attend à la poste et prend en charge la narration de son histoire que l’on visualise ; un dispositif qui ne fait que préparer le twist final. Son esthétique : au présent, une photo froide et bleutée ; au passé, une patine granuleuse et cuivrée – parti pris qui bouleverse par son originalité. Son casting : le très pénible Toni Servillo en tête dans le rôle du père, un concours d’overplaying criard et exténuant, sauf le narrateur (on comprend qu’il s’agit du fils dans le passé) jouant la carte inverse.
Le triste sire de la poste raconte donc son histoire, celle du famille populaire sicilienne semblant évoluer dans une grande farce filmée à la truelle. Des gens modestes, mais qui ne s’en laisse pas compter, s’autorisant même la plage le dimanche : ils ont des grandes gueules, des drôles de tronches dont des gros nez, certains du bide. Les femmes parlent fort par les fenêtres en étendant le linge, les hommes désossent des bateaux rouillés. Arrivant d’on ne sait où, un affreux drame se produit. La fille se fait assassiner par la mafia – alors qu’on pensait qu’il était impossible de forcer encore le trait de la réalisation, Daniele Ciprì y parvient sans mal ; il sort un nouvel atout : les ralentis. La farce reprend ensuite. Cette famille va se retrouver à la tête d’un petit magot constitué par l’indemnisation de l’État consacrée aux victimes de la mafia. Le meurtre d’une enfant est donc le prétexte à un conte moral sur la cupidité, idée lumineuse.
La laideur de la réalisation est doublée par celle du regard porté sur ce bon peuple pittoresque, qui n’est digne et héroïque que dans le malheur. Au pays du néoréalisme et des comédies de Mario Monicelli (par exemple Le Pigeon), on se croit coincé dans un mauvais rêve. Bref. Que faire de l’argent ? Évidemment un achat stupide, dont le père devient une sorte d’esclave ; une grosse bagnole rutilante qui va précipiter ce petit monde dans un nouveau drame. Car, en effet, c’est bien connu, les gens du peuple, en plus d’être décérébrés, sont faits pour rester pauvres, l’argent leur porte malheur. È Stato il Figlio retourne in fine à la tragédie – inutile de préciser le ridicule de la séquence –, mais elle avait déjà commencé depuis une heure trente. Elle réside en la bêtise puante de ce film de Daniele Ciprì.