Huit ans après son foisonnant Congrès, Ari Folman propose avec Où est Anne Frank ! une variation sur le célèbre Journal, et revient sur les années de clandestinité de la petite fille entre 1942 et 1944, juste avant la déportation de sa famille. Le film commence dans la maison d’Amsterdam, déjà reconvertie en musée, et s’ouvre sur la réflexion du gardien des lieux, qui dépose le manuscrit original sur le bureau d’Anne et constate que l’ouvrage a l’air plus « naturel » dans cette pièce. Cette question de l’authenticité paraît d’emblée centrale, mais elle est vite remplacée par celle de l’actualité d’Anne Frank et de son journal intime. Kitty, l’amie imaginaire d’Anne, quitte ainsi les pages du manuscrit pour investir les rues d’Amsterdam et, à travers elles, le monde contemporain. Le récit orchestre alors un double apprentissage. D’une part, Kitty se lance à la recherche d’Anne, avant de découvrir que son amie s’est en quelque sorte dispersée dans l’espace urbain, remplacée par les bâtiments qui portent désormais son nom (la Maison Anne Frank, mais aussi une école, une bibliothèque, un pont, un théâtre, etc.). D’autre part, c’est le spectateur – et plus particulièrement, sans doute, le jeune public – qui (re)découvre un passé que Folman a visiblement à cœur de transmettre avec la plus grande vérité possible (et non avec réalisme, les deux notions ayant ici tendance à s’opposer). Le résultat est un film très chargé, dont la valeur purement pédagogique restera sans doute limitée, tant l’imaginaire se mêle constamment à l’histoire et le passé au présent. Où est Anne Frank ! a surtout le mérite de proposer quelques belles idées de mise en scène pour organiser la circulation de sa narration entre les multiples dimensions qui la composent : l’encre se décolle de la page pour donner corps à Kitty, qui traverse ensuite une sorte de trou noir pour revenir dans le passé ; des acteurs hollywoodiens décorent la chambre d’Anne, avant de rejoindre ses rêves éveillés pour constituer une armée partie combattre les nazis, etc.
Le cinéaste prépare patiemment et prudemment la représentation du dernier stade de l’horreur, qu’il élude bien sûr en grande partie pour ménager son jeune public, mais qu’il parvient malgré tout à rendre sensible par un recours à la mythologie grecque, le train de la mort se muant en une sinistre embarcation lancée sur le Styx. Ces idées (on pourrait également citer la représentation des nazis eux-mêmes, sortes de vampires immenses, aux masques blancs interchangeables et aux longues capes noires) se traduisent de manière plus ou moins heureuse sur le plan esthétique, mais apportent en tout cas une réponse intéressante à la question qui sous-tend le projet : comment représenter la Shoah pour une génération d’enfants qui n’aura bientôt plus accès au témoignage direct des survivants, et devra donc s’en remettre à divers passeurs ? Ces relais, ce sont notamment les lieux cités plus haut (musées, bibliothèques, théâtres, écoles), auxquels le personnage de Kitty reproche de dénaturer l’histoire d’Anne Frank. Tout le film consiste dès lors à extirper le texte du musée, après avoir fait voler en éclats la vitrine qui le séparait du réel (davantage qu’elle ne l’en protégeait). Malheureusement, ce souci d’actualiser l’histoire prend la forme d’une comparaison douteuse entre les camps nazis et le sort des migrants au XXIe siècle, rapprochement qu’Ari Folman présente comme une évidence reposant sur des indices purement visuels (des policiers en uniforme censés rappeler les soldats allemands et des files de réfugiés évoquant la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale). L’intention politique est sans doute louable, mais elle mène à une dernière partie grandiloquente et démonstrative, où la mise en parallèle d’Anne et d’Ava, une jeune réfugiée, apparaît comme une façon maladroite de gommer les spécificités de leurs situations respectives.