Il y a dans la faillite quasi totale du Congrès quelque chose d’étrangement beau, comme le fascinant naufrage d’un navire qui s’obstine à rester à flots, se raccroche à tout, suscitant une curiosité lasse puis une sidération grandissante à mesure que le film s’engloutit sous lui-même. Cela commence comme un Holy Motors du pauvre, où le démantèlement du réel se trouve non pas invoqué comme un songe mais méthodiquement narré, pétri d’une écriture très explicative. Robin Wright incarne une actrice en retour de grâce à qui son manager (Harvey Keitel, qu’allais-tu donc faire dans cette galère ?) propose un ultime rôle, consistant à se faire scanner corps et âme. Une image numérisée la remplacera au-delà même de sa mort. Ces séquences live portent l’empreinte de l’animateur qu’est Ari Folman : palette de couleurs très découpées, filmage rigide, entretiennent l’engourdissement de l’image perçu dans Valse avec Bachir. Même les comédiens semblent avoir été choisis pour leur bonne imbrication dans le dispositif Folman ; parce que leur physique se laisse aisément brosser en trois traits (Jon Hamm) et facilite les échanges entre live et animation, mais aussi parce que leur jeu, notamment facial, porte également cette raideur, cette affectation de chaque rictus, de chaque mouvement qui se creuse, cette persistance de l’expression.
Ensuite… ensuite. On ne va pas s’en cacher : Le Congrès nous a fait rire, bien malgré lui. Une ellipse de vingt ans nous projette dans un univers en animation qui est, pour faire court, un monde parallèle généré par les hallucinations de ceux qui s’y trouvent, et issu d’un basculement psychédélique porté par des intérêts commerciaux (si j’ai bien compris), façon Second Life. Le film entre dans une phase de trip interminable, où Ari Folman se lance à la poursuite d’une beauté que son idée devrait receler mais qu’il n’arrive jamais – jamais – à saisir. Surtout, il s’autorise un pompiérisme d’une vulgarité rarement égalée, où l’essence hallucinogène du monde devient le prétexte à un foisonnement de références inutiles (de Dr Folamour à Top Gun en passant par Magritte et Picasso), mais aussi à un fiévreux penchant pour les symbolismes à la noix, à grand renfort de visions végétalo-sexuelles, plantes magiques, larmes roses et jardin d’Eden new age. Ça n’en finit plus.
Il y a cependant, on doit bien le reconnaître, une sorte de beauté du ratage. Pendant une courte phase (avant l’écœurement, aux premières gorgées de cette mixture bourrative) on s’est même trouvé séduit par les errances fantasmatiques de cet univers en perpétuel basculement, cauchemar éveillé rythmé par la récurrence d’images-refuge ayant trait à un temps révolu : un cerf-volant, un aéroport, une caravane. Les réminiscences cycliques de ces objets devenus des fétiches ont même quelque chose des percées dans Tintin menées par Charles Burns dans sa Ruche, d’autant plus que la ligne claire n’est pas si étrangère à Ari Folman. En somme, un panache de la catastrophe, une empreinte tragique du jusqu’au-boutisme absolu du réalisateur pris dans sa propre spirale, et qui perd complètement pied.