Rien ne la prédisposait à devenir actrice. Encore moins à être l’une des révélations du dernier festival de Cannes où le film, présenté à « Un certain regard », a remporté la Caméra d’or. Et pourtant, dans une autre vie, elle aurait pu être une Gena Rowlands sous influence. Plan après plan, elle séduit, fume, boit parfois plus que de raison mais sans jamais rien perdre de sa superbe. Elle, c’est Angélique, un prénom de marquise pour une ancienne reine de la nuit, un regard bleu azur qui en a fait mourir d’amour plus d’un. Sa généalogie est double. Elle tient autant des fantasmes cinéphiles remplis de femmes affranchies – Anouk « Lola » Aimée, Catherine « Belle de Jour » – qu’au regard porté par les trois jeunes réalisateurs. Dans ce trio officie d’ailleurs son fils, Samuel Theis, ainsi que Claire Burger et Marie Amachoukeli qui connaissent bien leur sujet pour avoir déjà mis en scène mère et progéniture dans le court métrage documentaire Forbach.
L’âge de raison
L’histoire d’Angélique a un petit quelque chose du conte de fées moderne. À soixante ans et des poussières, alors qu’elle doit se résoudre à la retraite forcée et quitter son métier d’entraîneuse, elle est demandée en mariage par un ancien client, Michel. Cette proposition inattendue tombe à point pour ce papillon de nuit (comme elle se définit) qui cherche malgré tout une voie de rédemption ou en tous cas une bouée de sauvetage. Car du point de vue d’Angélique, il ne sera pas beaucoup question d’amour pour son prétendant. La problématique est autre. Elle doit apprendre à grandir, couper le cordon avec les chimères de sa vie nocturne pour bâtir une nouvelle famille, plus solaire, où elle pourra s’exercer aux rôles d’épouse et de mère (le mariage est l’occasion de renouer avec sa dernière fille qui était placée en famille d’accueil).
Montrer la beauté du réel
Party Girl ne cesse de surprendre car il ne va jamais là où on l’attend vraiment. Il aurait été facile, au regard du sujet, de sombrer dans les travers du film social, de porter un regard plein de compassion sur les personnages et de charger le film de jugements moraux. Au sensationnalisme de la vie nocturne, les réalisateurs préfèrent montrer Angélique « backstage », dans la normalité de son environnement familial. Le film restera d’ailleurs assez allusif sur les raisons qui l’ont amenée à exercer ce métier et les problématiques financières (seule une conversation entre Angélique et sa fille évoque la question de la retraite). Il en est de même avec la ville de Forbach, ancienne cité minière qui n’a pas grand-chose de glamour et qui, pourtant, se voit poétisée au détour, par exemple, d’un plan très graphique sur des montgolfières. Cette ville frontière où l’on alterne le français et l’allemand peut, d’ailleurs, se lire comme une métaphore de tous les effets de balancements (fiction / réalité, vie nocturne / vie diurne) qui traversent le film. La démarche du trio est assez proche du cinéma de Yolande Moreau (avec un peu moins d’affects) qui nous amène à voir beauté et poésie là où d’autres s’enferment dans un misérabilisme complaisant. En somme, Party Girl est la preuve que le romanesque n’est pas exclusivement l’apanage des bourgeois.
Ni tout à fait fiction, ni tout à fait documentaire, Party Girl brouille également les pistes narratives et réinvente, à sa manière, une certaine idée du cinéma vérité. Ici, la plupart des protagonistes s’amusent à réinterpréter leurs propres rôles avec un naturel et une justesse confondants. De leur côté, les réalisateurs ont su trouver la bonne distance pour ne jamais trahir l’essence de leurs « personnages » tout en les élevant et les transformant en véritables héros de cinéma. Le parti pris de filmer en cinémascope est d’ailleurs significatif. Ce format permet une certaine « sacralisation » du réel tout en ouvrant un espace propice à la spontanéité du jeu car libéré des contraintes du découpage en champ / contrechamp.
Portrait de femme
À mesure que le film avance, le portrait d’Angélique se construit alors dans une mosaïque de scènes qui sont comme autant de miroirs sur les différentes vies et possibles qui attendent l’héroïne. Party Girl lance des pistes sans toujours les résoudre, obligeant le spectateur à construire son propre hors-champ. Rien d’étonnant à ce que le film s’achève sur une fin tout aussi ouverte où reste en suspens la pertinence pour Angélique de rentrer dans le moule d’une vie normée et perçue comme castratrice. Une chose est sûre, néanmoins : si pour Angélique l’idée même de l’amour reste problématique (partagée entre son besoin perpétuel de séduire et le rêve du prince charmant), les liens qui l’unissent à ses enfants sont tout ce qu’il y a de plus authentique (l’une des scènes les plus touchantes reste ce moment, lors du mariage, où tous ses enfants lui témoignent leur affection). Il en est de même avec la fascination qu’elle exerce sur le trio de réalisateurs. Ludiques dans leur façon d’aborder la direction d’acteur, inventant à leur manière un nouveau courant cinématographique, ils lui offrent un formidable acte d’amour et nous proposent l’un des plus beaux portraits de femme de ces dernières décennies.