Le fonds de commerce de Nancy Meyers, c’est la comédie pour quinquagénaires avec maison secondaire (en bord de mer, si possible). Le succès-monstre en 2004 de Tout peut arriver, comédie du remariage portée par deux stars a priori en fin de carrière (Jack Nicholson et Diane Keaton) a prouvé qu’il existait bel et bien un public friand de marivaudages néo-bourgeois dans les Hamptons (sorte de Côte d’Azur réservée à l’élite de la côte nord-est des États-Unis). Meyers ne filme que ce qu’elle connaît : des hommes et des femmes qui s’agitent dans des demeures gigantesques et rentrent dans le troisième âge en se comportant comme des ados en pleine explosion hormonale, le plus souvent sous le regard contrit de leurs propres enfants, caricatures de WASP déjà vieux avant d’avoir atteint la trentaine. Chez Meyers, le contexte politique et social de son pays semble n’avoir aucune prise : à l’heure d’Obama, toujours pas un seul noir dans ses films, même en arrière-plan.
Le relatif échec en 2006 de The Holiday, autre comédie romantique au casting plus jeune, a poussé Meyers à revenir vers son public cible, symbolisé par une distribution triomphante : Meryl Streep, improbable reine du box-office depuis trois ans (Le Diable s’habille en Prada, Mamma Mia !, Julie et Julia) ; Alec Baldwin, tout auréolé du succès public et critique de la série 30 Rock ; et Steve Martin, visiblement en quête de rôles plus mûrs, loin des comédies poussives qui ont fait sa gloire. Le scénario, lui, importe relativement peu : ce qui compte, ce sont les décors, les passages obligés (une scène d’ivresse ou de défonce ; les confidences entre copines ; la valorisation décomplexée du corps vieillissant via une scène de nu – Keaton dans Tout peut arriver, Alec Baldwin ici) et la morale de l’affaire : à 60 ans comme à 20, il est fortement recommandé de prendre son pied.
Sur la base de cette recette éprouvée, Nancy Meyers peut donc dérouler son programme aussi balisé qu’un ouvrage de self-coaching, puisque rien ni personne ne viendra enrayer sa machine impeccablement huilée. Dans Pas si simple, l’héroïne, Jane, entame une liaison avec son ex-mari, qui l’a plaquée dix ans auparavant pour une femme plus jeune : la voilà dans la peau de l’autre femme, celle qui s’envoie en l’air dans des hôtels luxueux en plein milieu de l’après-midi avec un homme marié. La bonne idée du film, c’est de donner à cette inversion des rôles, a priori comique, une coloration plus mélancolique. L’escapade sexuelle des deux ex-époux à l’hôtel se soldera par une intervention du médecin (l’amant/ex-mari fait un malaise cardiaque) et un retour forcé à un schéma classique et attendu pour ce vieux couple séparé : plateau-repas devant la télé. Les échanges entre Meryl Streep et Alec Baldwin sont les plus réussis, car ils sont empreints d’une tendresse plutôt touchante qui rend palpable l’angoisse de leurs personnages : l’ombre de la mort rôde, même si elle n’est jamais évoquée frontalement. Pour la conjurer, le repli sur la cellule familiale et les valeurs qui la caractérisent (la maison, dans laquelle Baldwin revient s’incruster ; les enfants, qui ne sont jamais loin ; la nourriture, qui est le gagne-pain de Jane) semble la solution la moins douloureuse. On est bien dans un idéal conservateur que le vernis Démocrate propre à la classe sociale de ces personnages ne parvient même plus à dissimuler.
Pour que les conventions de la comédie romantique hollywoodienne soient respectées, un troisième larron vient mettre du piment dans l’affaire : l’architecte chargé d’agrandir la maison de l’héroïne. Le film reprend alors une tournure plus convenue, avec séduction, hésitation, jalousie de l’ex-mari, quiproquos, jusqu’à une fin faussement ouverte, en demi-teinte et un peu faux-cul. En bonne bourgeoise de la Côte Est, Jane ne fera peut-être pas un lifting (scène incroyablement hypocrite qui montre Meryl Streep fuir les conseils d’un chirurgien plastique) mais ravale les murs de sa bâtisse. La morale de l’histoire est du même acabit : à soixante ans, vaut-il mieux écarter les jambes en souvenir du passé ou ouvrir sa maison pour mieux accueillir un avenir déclinant ? Dans Une autre femme, l’un de ses plus beaux films, Woody Allen donnait à Gena Rowlands le rôle magnifique d’une quinquagénaire qui remettait sa vie en question à l’écoute des confessions d’une patiente de son voisin psy. Chez Nancy Meyers, les interrogations existentielles tournent court : le bonheur, ça ne tient finalement qu’à un bon architecte, même si le choix de la couleur des murs ne sera pas si simple, oh que non.