Épaulé par Mehdi Idir, le réalisateur de ses vidéoclips, Fabien Marsaud (plus connu sous son nom de scène Grand Corps Malade) a décidé d’adapter à l’écran son autobiographie dans laquelle il décrit les longs mois de rééducation qui ont suivi un tragique accident de piscine et dont il garde encore aujourd’hui les séquelles. Pour ceux qui ne seraient pas vraiment réceptifs à la prose du slammer le plus célèbre de France, le projet aurait de quoi laisser circonspect. Il donne en effet l’impression de rassembler tous les ingrédients/pires travers d’un jeune cinéma français à tendance sociale (les jeunes de banlieues, la question du handicap, l’acceptation de soi, etc.) pour potentiellement produire un discours positif et lénifiant sur le dépassement de soi et le vivre ensemble. Le résultat est à l’opposé de ce que l’on pouvait craindre : si l’écriture peine à masquer un didactisme visant à faire passer un message d’espoir et que les partis-pris de mise en scène auraient gagné à s’affirmer davantage, Patients évite à peu près tous les pièges qui lui étaient tendus. Cette relative réussite, au-delà de l’évidente sincérité avec laquelle les deux réalisateurs ont souhaité traiter leur sujet, tient aussi du dispositif à la modestie assumée qui sait faire preuve d’une belle justesse dans son appréhension des enjeux : du choix des cadres au montage en passant par les lignes de dialogues, on sent bien que Grand Corps Malade et Mehdi Idir n’ont jamais voulu tricher, considérant à juste titre qu’ils ne pouvaient être suspectés de récupérer un sujet à fort potentiel lacrymal.
À hauteur de vue
Une caméra rivée sur le plafond éclairé d’une chambre d’hôpital, des visages qui apparaissent en contre-plongée et qui commentent la situation, le bruit d’une respiration rendue possible à cause de l’intubation : les premiers plans de Patients nous plongent dans l’univers médical qui sera celui du film pendant près de deux heures. La caméra nous place du point de vue d’un jeune tétraplégique qui vit son corps comme une prison, incapable de communiquer comme il le souhaiterait avec l’espace qui l’entoure et dont nous n’avons qu’une vision parcellaire. Cette astuce de mise en scène, beaucoup de réalisateurs l’ont déjà éprouvée (de L’Adieu aux armes de Frank Borzage au Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel en passant par l’incontournable Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo) mais il ne s’agit ici que d’une introduction : rapidement, les premiers signes d’amélioration du patient invitent la caméra à changer de point de vue. On découvre alors le visage juvénile de Benjamin, jeune garçon à peine sorti de l’adolescence et tétraplégique incomplet, condamné à s’habituer à sa nouvelle condition après un tragique accident. D’emblée, le caractère débonnaire et détaché du personnage principal n’emmène pas le récit sur la voie attendue de l’apitoiement. Et cette distanciation, réflexe inconscient du jeune handicapé encore dans le refus de sa situation, est compensée par les choix de mise en scène, souvent faite de plans serrés et où les perspectives sont obstruées, qui permettent à l’identification et à l’empathie de trouver leur place sans complaisance excessive.
Le club des cinq
Tout autour de Benjamin se met en place une galerie de personnages, compagnons d’infortune. Cette nécessité de faire progresser le récit vers l’ouverture du personnage principal à tous ceux qui l’entourent constitue autant la richesse du film que sa limite. L’enchaînement des scènes qui abordent en si peu de temps tout ce qui découle ou est lié au handicap (le déterminisme social, l’amitié, la sexualité, les perspectives sentimentales, la reconversion professionnelle ou encore l’inégalité face aux progrès médicaux) fait preuve d’une telle exhaustivité qu’on pourrait reprocher par moments au film son côté bon élève, trop soucieux de ne rien omettre par souci de représentativité. Cela tient probablement de la difficulté des scénaristes à synthétiser le livre dont il est tiré. Pour autant, les réalisateurs auraient pu tomber dans un travers autrement plus gênant : succomber à la roublardise en laissant le bagout des acteurs (tous impeccablement dirigés) guider la mise en scène. Mais si le film remplit parfaitement son cahier des charges en ménageant autant de temps de rires que d’émotions, l’estime qu’on peut porter au résultat final tient à la juste distance que la caméra conserve jusqu’au bout : pas de montage nerveux pour gonfler artificiellement le rythme, pas de caméra portée pour faire plus vrai, pas de sensiblerie outrancière dans les séquences-clés (la tentation du suicide, les séparations, etc.), Patients assume même d’avorter quelques pistes narratives. C’est que le film ne se pose jamais pour objectif de boucler la boucle : il rend compte de ce douloureux épisode de vie comme d’un état de transition où ne se formule aucune réponse claire pour l’avenir. Il accompagne en posant tout simplement un regard bienveillant et c’est cette modestie qui fait toute la valeur du film.