Le jour est venu de le constater : la paternité de SuperGrave ne reviendra jamais à son réalisateur Greg Mottola. Même si l’on ne peut juger d’Adventureland, le troisième opus du réalisateur, la potacherie martienne Paul, risque de provoquer d’étranges hallucinations tant elle ne soutire aucun sourire. Loin d’avoir attendu une révélation, l’expérience de Paul s’avère suffisamment inquiétante pour faire état de mépris envers le genre comique.
Paul est en fait l’échec voire la chute des éléments que contient SuperGrave. À sa sortie, ce dernier a été injustement mal accueilli à Critikat, alors que cette comédie est sans doute ce qu’a enfanté de mieux l’écurie Judd Apatow. Loin d’être une « paillardise musclée » ni un « avatar d’American Pie », SuperGrave se mesure plus à l’amitié amoureuse (ou « bromance ») qui relie les jeunes Seth (Jonah Hill) et Evan (Michael Cera) qu’à ses qualités de mise en scène (ni brillante ni vraiment nécessaire ici). Car si les centres d’intérêt sont effectivement placés sous la ceinture, l’euphorie que procurent ces punchlines débitées à la mitraillette reste durablement puissante. Si l’on juge les reproches fait à sa fin conservatrice, le film a plus à voir avec la vengeance fantasmée d’une expérience (l’adolescence geek) qui, à force de frustrations et d’invisibilité à l’écran, se rêvait de trouver son centre. Une fois cette visibilité retrouvée, comme prise d’assaut par ces « impuissants existentiels », on a depuis compris que ce petit monde n’a d’yeux que pour s’intégrer et le simple désir de cette stabilité satisfait le héros d’Apatow. C’est, et louons l’intuition de notre camarade critikatien, la limite de ces comédies qui, enamourées d’un type frustré et adulescent, le dévoile comme jamais enclin à autre chose qu’un bonheur rangé et casé. Or, ce qui ne posait pas problème jusque-là est devenu un genre populaire où le geek, devenu l’élu de la comédie, en vient à saturer l’écran et barrer l’accès à d’autres figures. Et l’on pense bien que, face à la révolte des freaks, le mode de vie geek trouve pleine satisfaction chez les cigares réacs d’Hollywood. Enfin, à la longue, la réapparition de ce type ne va pas sans lassitude, surtout si celle-ci n’est plus qu’un automatisme, une silhouette vidée de sa personnalité. C’est le terrible cas de Paul qui, complaisant dans la parodie, épuise à force de reproduire un schéma qui tourne en rond. Même si, et c’est un signe, il n’est pas produit par le pape de la nouvelle comédie U.S, Judd Apatow.
Que peut-on relever alors d’une comédie qui souffre de tous les travers et semble vouloir tutoyer le talent de ses prédécesseurs sans brio ni humour ? Le problème de ce film tient sans doute à toutes les mains qui se sont agitées autour de sa « création ». D’un côté, Greg Mottola qui peut effectivement être considéré comme un tâcheron et de l’autre, Nick Frost et Simon Pegg, les comiques anglais auteurs-acteurs de Shaun of the Dead et Hot Fuzz. Ces deux-là (avec le réalisateur Edgar Wright), sont connus pour travailler une veine parodique (zombifiante pour l’un et policière pour l’autre). Ils crient à leur public leur amour assumé pour un certain cinéma (le pire du pire des horribles années 1980) en y injectant un humour fondé sur la glande, la culture pop et une pincée de loufoquerie.
Si l’artillerie Hot Fuzz marquait le pas par rapport au cadre british où déambulaient les morts-vivants de Shaun of the Dead, ces malheureux ont eu la malheureuse idée de s’imaginer attifés en nerds partis aux States sur les traces de Roswell. Soi-disant hommage aux films de science-fiction (références empilées dans la scène finale), le film les réunit dans un camping-car avant qu’ils ne fassent la rencontre d’une chose verte à la logorrhée imbattable, fumeuse de joints et jamais dernière à balancer des blagues. Inutile de porter des lunettes 3D pour constater que cette petite bête reste malheureusement sans relief et assez fatigante. En somme, un animal de compagnie qui peut bien nous faire regretter E.T. Les deux interprètes – pour ne pas dire acteurs – qui l’entourent du début à la fin demeurent, eux, de vastes abrutis qui font peine à voir dans leur complicité troglodyte. Leur bêtise se confond tout simplement avec leur autisme d’acteurs. Surtout, leur culture nerd parait si peu crédible qu’ils sont ici obligés de la revendiquer à base de magazines, tee-shirts et autres tristes apparats. Flanqué de leur créature, ce duo cosmique recherché par la police et la CIA (le tour de force est de rendre ces derniers encore plus stupides que les deux zozos qu’ils pourchassent) finira par s’enliser dans un maelström pyrotechnique terriblement ridicule et nauséabond.
Voilà donc une nouvelle illustration et un autre dommage collatéral de cette mode étrange pour une sous-culture qui, parfois inquiétante, ne semble plus, à l’image de Kick-Ass, savoir quoi faire de la position centrale qu’elle occupe. Genre et type qui appellent répliques et bons acteurs, la comédie américaine risque à l’avenir de s’embourber si, malgré ses éternels défauts, elle n’est pas un minimum questionnée (Funny People) ou stylisée (Scott Pilgrim et The Green Hornet). Les scénaristes de SuperGrave (Seth Rogen et Evan Goldberg) peuvent, eux, dormir tranquille et leurs fans s’esclaffer devant leur petit écran : décrédibiliser un genre déjà infantilisant et le faire chuter dans un néant si abyssal, on appelle ça de la connerie sans limite.
P.S. : Si la voix martienne et caverneuse de Seth Rogen est familièrement jouissive à l’oreille, la voix française est le fruit d’un certain Philippe Manœuvre, critique rock lourdement entamé, clown télévisuel et caricature ambulante d’une culture bis mal dégrossie. À l’image du film donc.