A priori, The Green Hornet est un peu la cinquième roue du carrosse clinquant des grosses productions/adaptations de comics prévues pour les prochains mois : de son quasi-homonyme Green Lantern à Thor et Captain America, en passant par un énième Hulk, un Spider-Man rebooté et le Wolverine réalisé par Darren Aronofsky, les figures mythiques de l’univers des superhéros vont se bousculer sur le grand écran. Pourquoi, alors, s’attaquer à ce faux héros sans pouvoir, peu charismatique et peu connu du grand public ? Précisément pour toutes ces raisons, pourraient répondre à l’unisson Seth Rogen et Michel Gondry, qui en s’attaquant à un personnage moins emblématique, ont ainsi pu y insuffler leur style sans trop risquer de s’attirer les foudres de fans souvent hystériques dès lors que l’on bouscule un peu trop leurs icônes.
The Green Hornet, créé à la radio puis sous forme de BD dans les années 1940, a connu son heure de gloire dans les années 1960 quand il fut adapté en série télévisée avec un Bruce Lee débutant dans le rôle de Kato, le sidekick du superhéros. La popularité croissante de Lee contribua au succès de la série et, chose rare, le personnage secondaire devint rapidement plus célèbre que le héros, un peu fadasse. Pas étonnant que Seth Rogen, sympathique acteur dodu à la voix de nounours qui a fait ses classes chez Apatow et sa bande, y ait vu l’opportunité de s’offrir sur un plateau un sésame vers la deuxième étape de sa carrière. Découvert dans 40 ans, toujours puceau, starisé grâce à En cloque, mode d’emploi, Rogen a fait brillamment le couillon dans de nombreuses comédies qui ont contribué au renouveau (discutable) de la comédie américaine, de Délire Express à SuperGrave. Difficile de se sortir de l’étiquette des néo-comiques de Hollywood quand des Jonah Hill et autres Jason Segel, tout aussi brillants et presque interchangeables aux yeux du public, tentent eux aussi de tirer leur épingle du jeu. L’étonnant Funny People de Judd Apatow, un semi-échec public mais incontestablement le film le plus passionnant de son auteur, offre à Rogen l’occasion de montrer autre chose à l’écran, dans un rôle plus riche que les précédents. Le comédien a déjà entamé sa mutation en perdant quelques kilos ; dans The Green Hornet, il est presque méconnaissable, littéralement bâti pour laisser l’adolescent derrière lui et entrer de plain-pied dans la nouvelle phase de sa carrière.
Il faut un sacré culot pour passer du personnage de post-ado libidineux à celui du héros qui sauve le monde et emballe les filles, mais Rogen n’en manque pas et va jusqu’à imprimer cette transformation sur la pellicule. Britt Reid, futur « Green Hornet » (« le frelon vert », en français) est le fils d’un magnat de la presse de Los Angeles : arrogant, irresponsable et inculte, Britt mène une vie de débauche jusqu’à ce que son père décède brutalement. Il fait alors la rencontre du chauffeur de son père, Kato (Jay Chou), énigmatique jeune homme et génie de la mécanique. Devenus copains comme cochons, Britt et Kato vont devenir, presque malgré eux, les sauveteurs masqués des bas-fonds de L.A… Pas très engageante, la trame de The Green Hornet s’appuie avant tout sur la qualité de ses dialogues et l’absolue liberté prise par Rogen et son co-scénariste Evan Goldberg avec le matériau d’origine. Le résultat est une merveille de comédie d’action et d’aventures qui pastiche les comics et les blockbusters des années 1980 avec une classe folle. La partition jouée par Rogen et ses acolytes, calée sur le tempo mi-old school, mi-pétaradant de Michel Gondry, est d’abord déroutante, et l’on se demande bien où va nous mener un film qui a l’air de se ficher comme d’une guigne de son intrigue. C’est, bien entendu, précisément ce qui fait tout son charme : rien à foutre des enjeux politico-psychologiques déployés dans les derniers Batman et les futurs Spider-Man et Wolverine. Britt Reid/Green Hornet est idiot, lâche, misogyne et terriblement drôle ; c’est le OSS 117 des justiciers masqués, et Seth Rogen l’incarne avec une telle aisance et un tel bagout qu’il en devient cool et sexy. Au diable l’ambiance goth des sombres héros à la Nolan ; Rogen et Gondry inventent la superproduction free jazz.
On peut se douter que Gondry a obtenu le job grâce au merveilleux et délirant Soyez sympas, rembobinez, dans lequel burlesque et poésie se mêlaient joyeusement tout en offrant un bel écrin à la folie douce de Jack Black. Forcément beaucoup plus diluée ici, la patte Gondry est néanmoins visible partout, de ces petits effets visuels bricolés dont il a le secret aux décrochages aussi inattendus qu’irrésistibles qui donnent au film sa coloration si singulière et lui confèrent une belle patine, en dépit de la 3D (inutile, et c’est bien le seul vrai regret ici, car le réalisateur n’en fait rien, ou si peu) et des effets spéciaux classiques, qui donnent l’impression d’être déjà un peu datés. The Green Hornet est un divertissement qui porte sa légèreté en bandoulière, comme une revendication un peu absurde face aux gros films faussement profonds qui oublient de plus en plus souvent l’une de leurs principales missions : le fun. Contrairement à un Christian Bale, Seth Rogen ne sera pas de sitôt nominé pour un Oscar, et c’est bien pour ça qu’on l’aime.