Dans la pénombre, un dos musculeux perle d’une sueur aussi brillante que le marcel à paillettes qui le recouvre. Ce dos qui ressemble à celui d’Arnold Schwarzenegger n’appartient pourtant pas à un homme. On découvre ensuite le visage blond et féminin de Léa Pearl, culturiste en lice pour le titre de Miss Heaven. Le principe du film entier se devine alors : la reconquête d’un univers genré, traditionnellement masculin, par le féminin. Elsa Amiel s’attaque ici avec brio à un univers proche de celui du film de gangsters, qui n’est pas sans rappeler Casino de Martin Scorsese. Comme pour les personnages de Robert De Niro, de Joe Pesci et de Sharon Stone, le grand hôtel où les personnages évoluent en vase clos prend la forme d’un bel écrin glam mais trompeur, revers d’une vertigineuse course au pouvoir où chacun sacrifie son âme. Pour Léa Pearl, le sacrifice est en l’occurrence celui de la famille, elle qui a abandonné son enfant et son conjoint pour privilégier sa carrière. Mais voilà que ceux-ci débarquent au beau milieu de la compétition, bien décidés à redevenir visibles auprès de la jeune femme. La réalisatrice part ainsi d’une réécriture du cinéma de genre pour exprimer un ressenti simple et contemporain : celui d’un certain déchirement entre parentalité, vie de famille et ambition professionnelle.
Le glam et la violence
Assistante réalisatrice pendant quinze ans, notamment sur L’Apollonide ou encore Saint Laurent, la réalisatrice a su tirer profit de son expérience. Comme dans ces films de Bertrand Bonello, il s’agit de filmer un monde en vase clos, fascinant mais irrespirable. La caméra flottante circule volontiers parmi les éléments de décor luxueux, les lustres, les costumes étincelants des athlètes. Des panoramiques verticaux caressent leurs muscles tendus et leurs corps sculpturaux, les transformant en puissants héros mythologiques. C’est cette très belle photographie du film qui fait le principal intérêt de Pearl et c’est bien sur ce point que l’on reconnaît un univers viril et codé façon Scarface : à la surface étincelante de cette vie tout en paillettes s’oppose sa brutalité sordide. Celle-ci s’incarne notamment à travers le personnage de Al, le coach de Pearl, interprété par Peter Mullan – un entraîneur qui gave les filles de stéroïdes, les empêche de boire de l’eau pendant vingt-quatre heures et n’hésite pas à coucher avec elles sous prétexte de les faire transpirer un peu plus. L’acteur trouve ici un rôle tout en cohérence avec le reste de sa filmographie, incarnant une forme de dureté d’abord très machiste comme dans Top of the Lake de Jane Campion. Ce que raconte alors Pearl au détour des tourments de l’héroïne, c’est une certaine marchandisation des corps dans un showbusiness comme le bodybuilding : Pearl est exposée par Al devant un sponsor comme un veau à la foire. De même, le personnage secondaire de Serena, une bodybuildeuse vieillissante, est rejetée par le coach après de nombreuses années de collaboration.
Maman, super héroïne
L’espace glam de la scène et du grand hôtel s’oppose ainsi à celui des chambres des athlètes où se terrent les souffrances des corps. Dans le secret de l’intimité, Léa souffre de la soif et lutte contre ses règles qui reviennent malgré elle. C’est aussi dans sa chambre qu’elle finit par cacher son fils qu’elle se voit obligée de garder. La vie privée devient donc un lieu de refoulement permanent qui ne manque pas de conduire à l’explosion. Les règles jaillissent en plein shooting photo, l’enfant sort d’une porte de placard au beau milieu d’un entretien avec le coach tyrannique. D’où un conflit entre la vie professionnelle et une vie privée qui ressemble à un chemin de croix, dont on peut d’abord regretter le manichéisme caricatural. Mais Elsa Amiel tente d’articuler un peu plus finement la douloureuse dualité de Pearl lors d’une très belle séquence entre Léa et son fils dans un diner américain, qui vaut probablement à elle seule le détour. Lors de ce temps privilégié avec son enfant où l’athlète sur les nerfs délaisse la compétition, Léa trouve une énergie nouvelle. Du bout de ses longs ongles griffus et manucurés, dans le contre-jour des lumières acidulées du restaurant, elle déchire un steak et en nourrit son fils, se transformant ainsi en fauve impressionnant. La mythologie factice des bodybuilders se réinvente alors et trouve un sens nouveau auprès du garçon : être bodybuildeuse, ce sera désormais jouer au super-héros pour son fils. Ainsi, loin de contredire les ambitions de la jeune femme, c’est la vie de famille qui insuffle finalement au monde pailleté et factice du showbiz une motivation profondément sincère : celle de réjouir tous ceux qu’on aime.