Un temps loué pour ses portraits de classes populaires naviguant entre l’onirisme et l’absurdité, Kim Ki-duk se laisse pourtant, encore une fois, aller à la description un brin gratuite d’une société coréenne déterminée par la violence et l’abandon. On ressent à chaque changement de rythme et presque à chaque plan la présence d’un réalisateur persuadé de son propre talent et de la force profonde des séquences dont l’hystérie est pourtant assez vaine.
Au sein de la grande famille du cinéma coréen, de plus en plus présente sur les écrans français, Kim Ki-duk semble plutôt se rapprocher d’un Park Chan-wook que d’Hong Sang-Soo. C’est la démonstration de force qui prime sur la construction d’un récit filmique. C’est la preuve d’un talent par l’image plus que le développement d’un discours sur celle-ci qui se met en place : avec Pietà, le réalisateur de Locataires, un temps loué par des critiques en mal d’exotisme asiatique, revient à ses amours populaires et aux narrations éclatées sans grande conséquence. Au menu donc, des scènes de viol, d’inceste, de suicide, de passages à tabac… une belle galerie de chic et de chocs et une intention très claire de montrer une violence crue dont l’explication (le déterminisme social et familial) sonne comme l’absolution factice des intentions esthétiques de l’auteur.
Tout commence par un suicide et tout finit par un autre suicide, causés par le harcèlement physique et moral d’un jeune usurier sadique et inconscient, Kang-do. Abandonné nourrisson par sa mère, isolé de toute forme de société humaine, le jeune Kang-do récolte les dettes de son patron auprès d’ouvriers qu’il mutile pour en récupérer l’assurance. On ressent tout de suite un malaise profond dans le plaisir esthétique évident que prend Kim Ki-duk à filmer en gros plans – et parfois en caméra subjective – les instruments de torture, les visages envahis par la souffrance des victimes du recouvreur de dettes amplifiée par la saturation des sons, notamment des hurlements de douleur. L’hystérie visuelle et auditive est tellement répétée et martelée que les pauses contemplatives (durant lesquelles Kim Ki-duk s’essaye à la géométrie d’un naturalisme poétisant) ne provoquent que l’angoisse du retour à l’extrémisme d’une violence sans fard.
Les figures sacrificielles annoncées par le titre sont nombreuses : elles sont les anonymes, vite torturés vite oubliés, Kang-do lui-même, victime de l’abandon d’une mère et de la violence de son patron (ce qui explique tout pour Kim Ki-duk, visiblement fanatique d’un déterminisme social de comptoir)… et la mater dolorosa, la vraie Pietà. Car l’univers animal et auto-suffisant de Kang-do est vite perturbé par l’arrivée d’une belle femme (Min-soo Jo, énigmatique et épatante) qui prétend être sa mère. La tendresse revient alors progressivement en lui sans pouvoir parvenir à le sortir du cycle infernal de la violence. Même dans les moments de rapprochement entre mère et fils, Kim Ki-duk ne peut s’empêcher de sombrer dans une frontalité glauque, poisseuse et répulsive : le sexe n’est que masturbation, la tendresse maternelle est nécessairement incestueuse, les repas un amas de tripes de volailles.
Mais quel est le but de cette succession de cadavres, de cris de terreur et de scènes d’une brutalité insoutenable ? La critique sociale d’une Corée abandonnée à son propre sort ? Elle serait bien faible. Il y a tellement peu de pistes autres que la monstration de la violence par et pour elle-même que l’on serait tenté de penser que la finalité du film est le film lui-même, l’agrégat esthétique d’un réalisateur sûr de sa puissance. Il cherche avant tout à choquer, à éprouver dans la longueur ses spectateurs, à faire de son œuvre une expérience. C’est cette affirmation de l’individualité artistique de Kim Ki-duk qui fait de Pietà un film gratuit sans conscience et sans véritable relief.