On ne compte plus les productions dans lesquelles les personnages filment eux-mêmes les événements surnaturels auxquels ils sont confrontés. Après s’être abondamment nourri d’une imagerie apocalyptique post-11 Septembre (Cloverfield, [REC]), ce style de mise en scène désormais connu sous le nom de «found footage» tend de plus en plus vers une esthétique de vidéos adolescentes postées sur YouTube (Chronicle, Projet X). Malgré quelques propositions pas totalement inintéressantes, Projet Almanac se contente de prendre sa place en haut de la pile, en attendant d’être recouvert par celui qui suivra.
Après une mise en bouche interminable consacrée aux tentatives infructueuses d’utilisation d’une étrange machine découverte dans une cave, un groupe de lycéens américains parvient à retourner dans le passé. Enfin pas trop loin non plus puisqu’une considération scénaristique plus ou moins justifiée stipule qu’ils ne peuvent pas voyager au-delà de quelques semaines. L’occasion leur est ainsi donnée de se livrer à divers fantasmes (plutôt sages d’ailleurs), de l’incontournable gain à la loterie, au festival raté l’été dernier. Se succèdent alors des situations présentées sous forme de zapping, sorte de film à sketchs cherchant laborieusement à faire du pied à son public adolescent en esquissant de faibles trames narratives à coups d’amourettes et d’actes manqués. Projet Almanac va ainsi dans un premier temps se contenter de dérouler un scénario ténu, comblant le vide abyssal qui sépare deux placements de produits par une agitation de la caméra délivrant la dose convenue d’hystérie. Mais alors que l’on n’en attend plus rien, le film révèle un thème inattendu, celui des nouvelles sources de dépendance.
But the drugs don’t work
Lorsque les personnages expérimentent sur eux leur fameuse machine, ils le font dans un parc de nuit, au milieu de bouteilles d’alcool vides, formant une ronde éclairée par les phares de leur voiture, exprimant simultanément leur excitation, et la peur de découvrir ce qui va bien pouvoir se passer dans leur corps. La métaphore de la découverte de la drogue surgit ainsi a de nombreuses reprises, et ce de plus en plus fréquemment au fil de l’avancée du film. Or on connaît l’histoire : après quelques aventures permettant de doper la popularité du groupe, l’un d’entre eux rompt le pacte d’une pratique exclusivement collective pour se livrer à un usage solitaire de leur découverte. Et la situation dégénère.
Mère au chômage, père disparu, refus de bourse pour ses études, il faut dire que David avait quelques raisons d’être criblé d’angoisses quant à son avenir ; c’est pourquoi il n’est pas prêt à laisser filer cette occasion de sortir du lot. En privilégiant son intérêt personnel à celui du groupe, il provoque toutes sortes de dommages collatéraux qu’il tente de réparer seul, modifiant encore et encore le passé. Lors de cette fuite en avant, la caméra à l’épaule se voit mieux exploitée, toute au service de la sensation de perte de contrôle. Le film en viendrait même à prendre l’allure d’un mauvais trip, au sein duquel David s’évertue à appliquer des logiques binaires de causes/conséquences sorties tout droit d’un jeu vidéo, certains personnages finissant même par s’effacer littéralement suite à des sortes de bugs. Désormais réduit à un comportement obsessionnel, l’usage de la machine avait au départ, détail anecdotique mais signifiant, besoin d’une carte graphique de console de jeux pour fonctionner.
Le film a ainsi le mérite de tenter une métaphore autour des formes traditionnelles et plus modernes de dépendances, même si cela revient finalement à verser dans une moralisation plutôt hypocrite (que reste-t-il à l’arrivée, le placement de produit ou la critique de son usage abusif ?). On peut tout de même y voir, entre deux mouvements de caméra inutilement survoltés, le portrait d’un adolescent terrifié par l’échec, de plus en plus exposé aux pratiques solitaires et égocentriques que peuvent nourrir réseaux sociaux et jeux vidéo. Cette image de David se ruant sur son ordinateur pour regarder sur Facebook l’évolution de son statut après l’un de ses «voyages» est à ce titre plutôt bien vue, tout comme la course éperdue dans laquelle il se lance pour mettre la main sur les recharges nécessaires au fonctionnement de sa machine. Pas de quoi permettre pour autant à ce Projet Almanac de rester dans les mémoires: sur fond de voyages temporels lycéens, Mamoru Hosoda est bien mieux parvenu à traiter du passage de l’adolescence à l’âge adulte dans son très beau La Traversée du temps.