Si l’ancrage de ses films dans un milieu paupérisé et son goût du pop rattachent Baker à d’autres metteurs en scène américains indépendants qui ont émergé ces dernières années (notamment Benh Zeitlin), Red Rocket se distingue sur de nombreux points du tout-venant de ce cinéma. Au flou et à la caméra tremblante, le film préfère le scope et les grands espaces ; au tropisme de la sensation et d’un désir naïf de coller aux personnages pour pénétrer leur psychologie, il privilégie des situations patiemment posées et dépliées. Le film est modeste, assurément, mais fait preuve dans le détail d’une certaine minutie. Baker suit le retour au Texas de Mike, dit « Saber », ancien acteur porno lessivé qui squatte la maison de son ex et de sa mère, et deale du cannabis faute de pouvoir trouver un emploi. Il se révèle surtout rapidement être un affabulateur, dont les mensonges à répétition, les histoires que l’on devine brodées et les rêves de retour au sommet remplissent les étendues désertes d’un état en pleine campagne présidentielle (en arrière-fond, le film documente, par touches, la montée en puissance de Trump en 2016).
Le film n’est pas sans rappeler les errances de The King of Staten Island, mais avec un sens du montage et du scope qui fait le sel de la mise en scène. Sens du raccord, d’abord, notamment par l’entremise des déplacements en vélo – le film est étonnamment peu statique, quand bien même les décors reviennent de manière cyclique dans le montage. De l’ellipse, ensuite, comme en témoigne l’épure avec laquelle Baker figure par une simple embardée et une coupe un accident monstre qui ne sera pas sans incidence sur le récit. De l’espace, enfin, Baker proposant un atypique portrait privilégiant le plan large au gros plan, et le territoire au visage. La durée du film permet par ailleurs de suivre pas à pas un embryon d’existence se dessiner, en partant de rien (un corps quasiment nu, et qui reviendra finalement à cette nudité originelle), un maillage de relations et d’affects, de solidarités et de tromperies. On pourra arguer, à raison, que le film ne va pas au-delà de cet horizon ténu d’un double portrait (d’un homme abîmé par ses propres illusions, et d’une ville de laissés-pour-compte), mais la subtilité du trait dont il fait preuve est à saluer.