Deux femmes d’âge mûr, unies par une histoire commune et opposées en tout, vont se retrouver, régler leurs comptes et se découvrir une complicité inédite, jusqu’à construire un lien très fort, malgré la maladie qui condamne l’une d’elles. C’est, en substance, le pitch de Sage femme, la nouvelle comédie dramatique de Martin Provost (Séraphine). Un petit sentiment de déjà-vu, peut-être ? Avouons d’emblée que le canevas que brode le réalisateur autour de son casting quatre étoiles ne déploie pas des trésors d’ingéniosité scénaristique, à tel point que Sage femme en devient parfois embarrassant. Le film n’est pas pour autant dénué de charme, ni de qualités : c’est tout le paradoxe du cinéma de Provost, à la fois attachant et maladroit, tour à tour empesé par une succession de lieux communs et capable de vrais moments de grâce. Sage femme se situe constamment dans ces contradictions, et émeut presque autant qu’il agace.
Les reines Catherine
Le film repose essentiellement sur son duo de stars, et sur ce point, il ne déçoit jamais : dans des rôles écrits sur mesure, les deux Catherine font des merveilles. Sage femme est un film d’actrices, que le réalisateur filme amoureusement. Béatrice (Deneuve) a été brièvement la compagne du père de Claire (Frot), lorsque celle-ci était adolescente. Et puis, Béatrice est partie, sans donner de nouvelles. Elle revient parce qu’elle est gravement malade, et parce qu’elle veut retrouver la trace du père de Claire. Mais celui-ci s’est suicidé juste après son départ, laissant Claire devenir une femme farouchement indépendante, jusqu’à la solitude, et très attachée à son métier (de sage-femme, donc). Malgré un fils qui la comble et en lequel elle place un peu trop d’espoirs, Claire est en passe de vieillir seule et aigrie. Les retrouvailles avec Béatrice sont d’abord amères, pleines de rancœur et d’incompréhension. Mais Béatrice s’accroche : elle a peur de mourir seule, et elle veut se racheter auprès de Claire.
La dynamique de l’antinomie entre les deux personnages est le moteur du film sur ses deux premiers tiers, et les deux actrices font leur miel de leur composition, qui consiste essentiellement à approfondir l’image que l’une et l’autre charrient de film en film, mais cette fois avec un léger décalage. Pour Frot, il s’agit encore et toujours de Madame-Tout-le-Monde, mais cette Madame-là est dépouillée de la bonhomie habituelle de l’actrice, laissant toute la place à une colère, une lassitude assez peu communes dans ses rôles. Deneuve, à l’inverse, pousse à l’extrême le personnage auquel le cinéma français semble vouloir la réduire depuis plusieurs années : la vieille dame libre et fantasque, pétulante et grande gueule, qui crame avec une joie communicative les quelques années qu’il lui reste à vivre. À elle les meilleures répliques du film, les plus outrageusement drôles, cuites à point pour la bande-annonce ; mais Deneuve vaut mieux que ça, elle le sait et Provost aussi. En pointillés, son personnage d’ogresse se délite, rongé par la maladie et l’angoisse, et se révèle bouleversant : jamais Deneuve n’avait autant joué avec la vieillesse et la mort, le déclin et la fatigue, et c’est très beau.
Un léger air de déjà-vu
Quel dommage, alors, que le scénario sur lequel sont lancés ces deux très beaux personnages soit aussi paresseux et balisé qu’une piste d’atterrissage. Il ne se passe presque rien que l’on ne sache déjà à l’avance, même si parfois Provost parvient à magnifier quelques scènes éprouvées cent fois ailleurs (comme cette très belle scène où Deneuve prend le volant du poids-lourd que conduit le compagnon de Claire : la balourdise du symbole de la transgression par des personnages cadenassés se transforme ici en un éclair en échappée belle à la mélancolie pure, fixée sur le visage et les gestes de Deneuve). Lorsqu’il dépeint le métier de sage-femme, le quotidien à la fois harassant et superbe du métier de Claire, le réalisateur oscille entre le geste du documentaire, qui rend chaque accouchement magnifique dans son caractère à la fois répétitif et unique, et la maladresse de moments trop scénarisés, qui viennent rompre le charme. La mise en scène est à l’avenant, platement illustrative, et c’est d’autant plus regrettable que Provost sait occasionnellement faire preuve de belles idées formelles. Ici, un jeune homme qui rentre dans une chambre où sont projetées des diapositives de son grand-père, auquel il ressemble comme deux gouttes d’eau, son visage se superposant à celui de son aïeul. Là, une fin en points de suspension, qui oublie ses conventions schématiques et ses dialogues parfois trop écrits, et se laisse divaguer en un montage à la fois sec et doux, furtif et émouvant. Tel est tout le paradoxe de ce Sage femme capable de bouleverser, lorsqu’il sait quitter les chemins trop souvent empruntés par le cinéma français.