Cinq ans après le succès surprise de Séraphine, Martin Provost renoue avec le genre biographique en s’intéressant au destin tourmenté de l’écrivaine Violette Leduc. Laborieux dans sa première partie, plus sec et empathique dans la seconde, Violette hésite entre application scolaire et fantasme d’émancipation d’une figure tutélaire.
Limité à une diffusion plutôt confidentielle de ses œuvres (Le Ventre de Juliette en 2003), Martin Provost a connu un succès aussi fulgurant qu’inattendu avec sa biographie de la peintre Séraphine Louis (850 000 entrées, 7 César). Devenu l’un des représentants de ce cinéma du milieu en voie de précarisation, le cinéaste choisit une nouvelle fois le genre biographique, après avoir essuyé un échec relatif avec Où va la nuit en 2011. Dans la continuité logique de ce qui fit son succès quelques années plus tôt, il s’intéresse à l’acheminement aussi douloureux que vital d’une artiste davantage portée par son instinct que par le souci d’une reconnaissance académique. Violette Leduc, figure atypique de la littérature française et petite protégée de Simone de Beauvoir (ce qui ne l’empêcha pas d’être reconnue tardivement par ses pairs et par le public), méritait très certainement son biopic et on sait gré Martin Provost de permettre à de nouvelles générations de découvrir ses écrits incandescents. Mais au-delà de la dimension didactique, que reste-t-il de Violette, portrait psychologique un peu poussif d’une écrivaine qui, jusqu’à La Bâtarde, son premier grand succès, a toujours refusé de voir le génie qui sommeillait en elle ?
De prime abord, la réponse n’est pas simple tant la première partie étouffe sous le décorum d’une reconstitution où se succèdent les grands noms de la littérature parisienne de la rive gauche. Probablement soucieux de contextualiser l’effervescence littéraire d’après-guerre, le réalisateur introduit lourdement chaque œuvre-clé par un souci de remise en perspective qui ne s’incarne qu’à de trop rares reprises. Il aurait probablement fallu pour cela que certaines scènes ne donnent pas l’impression d’être un mauvais prétexte à des numéro d’acteurs moyennement inspirés (Jacques Bonnaffé en Jean Genet, Olivier Gourmet en Jacques Guérin), la palme revenant probablement à Sandrine Kiberlain, incarnant une Simone de Beauvoir monocorde et sans passion, à l’austérité professorale. Martin Provost succombe également à la tentation un peu facile de flatter l’intelligence du spectateur, forcément en avance sur la réception d’œuvres en gestation de ces intellectuels traversés par le doute (Genet envisageant d’écrire une pièce qui s’appellerait Les Bonnes, de Beauvoir hésitant encore à appeler son prochain livre Le Deuxième Sexe). Ces fioritures académiques privent le récit de ce bouillonnement d’idées, où se mêlaient le politique et l’affectif, qui fit toute la valeur du courant existentialiste.
L’intérêt de Violette est donc à chercher ailleurs, dans cet angle mort qu’incarne Leduc, cette écrivaine sur le tard, personnage ambigu où se mêlaient la tentation de disparaître et de tout aspirer. Simone de Beauvoir, figure tutélaire et véritable canalisateur, n’est – bien heureusement vu le traitement qui lui est réservé – pas ce qui intéresse le réalisateur. C’est plutôt son contrechamp, cette femme dépressive et affamée d’amour, haineuse et coupable, autrice maudite la majeure partie de sa vie, condamnée à vivre dans la précarité, de petits larcins ou du soutien financier de ses mécènes. Au fil des scènes, dès lors que le récit se resserre sur son personnage et délaisse les justifications psychologiques, Emmanuelle Devos finit par trouver le ton juste, ingrate dans ses excès, bouleversante dans son jusqu’au-boutisme frondeur. C’est donc hors du temps et du contexte historique (les plus belles scènes étant probablement celles tournées à Faucon, village où l’écrivaine s’est réfugiée à la fin de sa vie) que Violette parvient à exister. Il est dommage que Martin Provost n’ait pas suivi jusqu’au bout le chemin tracé par son héroïne en ne s’affranchissant pas d’un désir de plaire qui confine trop souvent à la fadeur.