On a tendance à se méfier des séries à rallonge sur un même concept, la parodie des films à succès d’une année sur l’autre : Scary Movie 4 recèle pourtant de bonnes idées qui démarquent ce film des productions habituelles pour teenagers. On ne crie pas au génie cependant : si l’œuvre témoigne d’un talent indéniable pour la réutilisation de scènes-phares, pour la création d’un univers comique, elle n’échappe pas non plus aux travers du genre, et tombe parfois dans le catalogue des meilleurs moments des émissions de télévisions. Préoccupé par l’autocritique de son pays, David Zucker signe un film un peu trop fourre-tout pour être totalement réussi, mais dont la force humoristique fait souvent mouche.
Romain — Avant d’aller voir Scary Movie 4, il est essentiel de comprendre comment fonctionne le film. Il ne faut pas s’attendre à un récit classique : ce qui compte est moins l’intrigue d’ensemble que chaque scène prise séparément, selon les règles du film à sketches. Chaque scène s’articule en deux moments distincts. Le premier moment est un moment de pastiche, techniquement proche de la perfection, de scènes-clés de films sortis en 2005. Ces derniers sont toujours des films d’horreur, d’action ou des drames passionnels : ainsi, chaque scène atteint très rapidement, dans chacun de ces genres, un point culminant. À cet instant, la scène bascule alors dans la parodie. Le comique repose dans le premier moment sur un délayage de la tension par quelques gags. Dans le second moment, il fonctionne sur ce que les Anglo-Saxons appellent le « bathos » : désamorçage comique du « pathos » installé systématiquement lors du premier moment. Le tout fait une mécanique bien rodée, rigoureuse et souvent drôle.
Ariane — Mettons un bémol à ce panégyrique. S’il est certain que les réalisateurs savent ce qu’ils font, il n’en est pas moins certain qu’ils s’embourbent parfois dans la brèche de la facilité du genre. Le comique n’inclut pas nécessairement le scatologique, voire le vulgaire. Le genre parodique, tout à fait noble au demeurant, ne doit pas être le prétexte à tous les plaisirs inavouables d’un scénariste. L’intrigue de départ, pas vraiment convaincante, donne lieu à une scène de prise excessive et involontaire de Viagra (bien que Ben Affleck ait fait la une des gazettes pour un incident de ce genre, la scène reste au ras des pâquerettes), qui est à la bienséance et au bon goût ce qu’Eddie Murphy est à l’humour potache… c’est-à-dire excessif et raté. Et c’est l’absence de fil narratif qui donne cette impression désagréable d’une suite de pamphlets, parfois inventifs et réussis, mais que l’on hésite à appeler « film ».
Romain — C’est une critique un peu injuste : une partie du comique de Scary Movie 4 est d’ordre scatologique, voire même, c’est vrai, sadique. Mais on ne peut pas écarter l’humour de comique troupier d’un revers de main, sous prétexte de vulgarité. C’est un humour qui fait rire certains (moi), même s’il en laisse d’autres (toi) de marbre. De toute façon, il est indéniable que David Zucker, qui a signé autrefois Y a‑t-il un pilote dans l’avion ?, a de la bouteille. Même les blagues potaches du film sont maîtrisées, y compris visuellement – et c’est justement le cas, je crois, pour la scène du Viagra. Les spectateurs jugeront. J’accorde cependant un reproche : Scary Movie 4 a le défaut des films à sketches, il s’étire un peu en longueur. Mais c’est la loi du genre, et dans cette catégorie, le film est un bon cru. Surtout, au-delà du genre lui-même, ce qui y est extrêmement intéressant est ce qu’on y lit de l’Amérique contemporaine.
Ariane — Scary Movie 4 est en effet un concentré de la représentation que donne l’Amérique d’elle-même dans ses diverses productions. En dehors de quelques allusions anecdotiques à l’hystérie de Tom Cruise sur un plateau de télévision ou au procès de Michael Jackson, on y retrouve les peurs et les obsessions de la superpuissance : le terrorisme évidemment, sous la forme d’un extrémiste peu doué en matière d’explosifs qui s’écrie « Death to America » sans réussir à déclencher sa bombe. Tout ridicule qu’il soit, il sera immédiatement empêché de nuire par une troupe de citoyens très au fait des dangers de l’extérieur. Les thèmes de l’homosexualité, du communautarisme au travers du pastiche de Brokeback Mountain et du Village sont également omniprésents : c’est donc une Amérique totalement obnubilée par la menace de l’extérieur, par l’étranger, l’autre, qui nous est montrée. On peut d’ores et déjà constater que les États-Unis sont un des seuls pays capables d’une telle autocritique (la France étant un contre-exemple frappant), et ce, depuis longtemps. L’exemple de la guerre du Viêt-Nam était frappant : sortir un film comme Voyage au bout de l’enfer de Cimino à peine deux ans après les accords de Paris témoignait déjà d’une capacité à la critique par l’image dont la France reste encore incapable sur la guerre d’Algérie.
Romain — Cette autocritique est surtout flagrante en ce qui concerne la représentation du président Bush, joué par l’ancien « pilote de l’avion », Leslie Nielsen. Par exemple, Scary Movie 4 utilise la fameuse image où l’on voit Bush, dans une classe de maternelle, recevoir sans broncher la nouvelle de l’attaque des tours jumelles (ici, il s’agit d’extra-terrestres). Avec cette scène, il ne s’agit plus d’une parodie de film, mais bien d’une image médiatique défavorable à Bush. De fait, tout au long du film, Bush est figuré comme un benêt candide. Et sa nudité soudaine face à l’Assemblée Générale des Nations Unies suscite de véritables cris d’horreur. On trouve une représentation quasiment identique de Bush dans une autre comédie américaine récente, American Dreamz. Clinton, lui, avait servi de modèle pour le président de la série The West Wing (Charlie Sheen). La série magnifiait les hommes du président autant que leur chef lui-même, pétri de convictions, déterminé, et conscient de sa responsabilité. Il n’en va pas de même pour Bush : American Dreamz et Scary Movie 4 en font un guignol écervelé. Hollywood est aujourd’hui malade de son président… Et toujours aussi obnubilé par les médias : d’où l’iPod géant, symbole d’un consumérisme triomphant (dans les sondages, l’iPod est aujourd’hui la première source de divertissement des jeunes Américains, devant l’alcool!), ou l’apparition d’un Mickael Jackson entouré de gentils petits n’enfants.
Les deux — À travers toute une série de films américains contemporains, on voit effectivement se dessiner une véritable autocritique. Le problème est que cette autocritique n’est, la plupart du temps, pratiquée que de manière autocentrée, voire égocentrique. « It happens only in America » (« ça n’arrive qu’en Amérique »), entend-on lors du second flash-back qui parodie Million Dollar Baby. Scary Movie 4 est loin d’être un film au contenu innocent : s’y révèle une Amérique qui se regarde dans un miroir. L’image y est certes peu flatteuse, mais à aucun moment l’Amérique ne détourne les yeux de son reflet et ne se confronte à un regard étranger. Il semble que nombre des derniers films réalisés outre-Atlantique illustrent une propension de l’Amérique à se replier sur ses propres angoisses.