Le voici donc, le film-événement de la saison, sleeper automne-hiver promis à sa moisson de statuettes. Avec son imposant sujet – le scandale des prêtres pédophiles de Boston –, et sa distribution à l’avenant, Spotlight a déjà récolté six nominations aux Oscars, dont celle de best picture, et il n’est guère difficile de deviner pourquoi. Adapté d’une histoire vraie, le cinquième long-métrage de Tom McCarthy nous arrive paré d’une vertu qui a finalement moins à voir avec le cinéma qu’avec une mission de service public. Et pour cause : il s’agit précisément de la catégorie du prix Pulitzer qui fut attribué en 2003 au Boston Globe pour avoir révélé au grand jour la dissimulation systématique, par le diocèse de la ville, des abus sexuels commis à grande échelle par des curés sur des mineurs dont ils avaient la charge.
Sourcé et vérifié
Avec son scénario pour seule feuille de route, Spotlight est un cas limite de film-dossier, régi du premier au dernier plan par les principes gouvernant les classiques du genre : sérieux et rigueur de l’enquête, didactisme du propos et sens aigu de la justice sociale. Cette fausse modestie sacrifie tout enjeu de mise en scène à de bien plus nobles poursuites : édifier les foules tout en célébrant l’héroïsme discret d’un quatuor de reporters-citoyens. En 2008, Tom McCarthy, également acteur, interprétait dans la cinquième et dernière saison de la série Sur écoute le rôle d’un journaliste du Baltimore Sun dont l’ambition dévorante le conduisait à bidonner ses articles. Spotlight, dont il a par ailleurs coécrit le scénario, participe à l’évidence d’une volonté d’anoblir la profession en faisant de l’investigation minutieuse un pur sacerdoce. Mais en emboîtant le pas à ces hommes et femmes d’information, McCarthy se prive malheureusement du recul nécessaire pour capturer le zeitgeist d’une époque – le tout début des années 2000 – dont les mutations douloureuses, notamment pour la presse écrite, sont à peine visibles à l’écran. Si le rapprochement avec Les Hommes du président est inévitable – la newsroom comme redoutable contrepouvoir –, Spotlight ne retient hélas pas grand-chose de la paranoïa qui infiltrait les fictions de gauche du Nouvel Hollywood. A priori un formidable antagoniste, l’Église catholique se laisse ici malmener avec une étonnante passivité, privant le récit d’un réel suspense.
Le jeu avec poutres apparentes de Mark Ruffalo est symptomatique de l’échec du film à s’affranchir de l’influence assumée de ses modèles : véritablement capable du meilleur (Foxcatcher) comme du pire (The Normal Heart), l’acteur américain livre ici une version hypertrophiée de son interprétation dans Zodiac, sans parvenir un seul instant à rendre tangible l’obsession qui consumait son personnage dans le chef-d’œuvre de David Fincher. Plus sobre, Michael Keaton campe un chef de rubrique hanté par une négligence commise dix ans plus tôt. Il est malheureusement desservi par l’insistance du script à l’absoudre de ses péchés déontologiques en lui confiant le soin de convertir les derniers incrédules aux faits dont il avait lui-même douté dans un premier temps. Quant à Liev Schreiber, c’est un décalque du rédacteur-en-chef incarné par Peter Sarsgaard dans le très médiocre Mystificateur, où un outsider charismatique rassemblait ses brebis égarées par une sombre histoire de plagiat autour d’une seule et même exigence de vérité commune.
Beau travail
Ce catéchisme éditorial, qui n’a de cesse de renvoyer à ses errements une institution religieuse vacillante, procède d’un manichéisme qui serait peut-être moins lassant à suivre s’il n’était mis en scène avec l’application laborieuse d’un téléfilm à gros budget produit par HBO. À force de subsumer les protagonistes sous le strict régime de l’enquête, McCarthy finit par diluer leurs singularités dans un geste collectif dépourvu de résonance émotionnelle pour le spectateur. Une seule bonne idée survit, celle consistant à montrer Boston comme un village irlandais où tous les habitants, semble-t-il, se rendent à la même paroisse. Ils peuvent toujours y brûler un cierge pour qu’un Academy Award salue à sa juste mesure cette éthique du travail bien fait, d’où le journalisme ressort gagnant ; le cinéma, lui, un peu moins.