Pour un budget qui s’élève à 115 millions de dollars, Star Wars Épisode I a généré au moins 900 millions de recettes pour sa première sortie. Faire du prequel de la saga une simple histoire de chiffres est sans doute réducteur, mais c’est probablement l’approche qui a motivé Lucas pour une version 3D du film complètement superflue aux conditions de visibilité dégradées.
Inaugurant la prévisible lignée des ressorties 3D (parmi lesquelles on compterait Autant en emporte le vent), La Menace fantôme semblait destiné à essuyer les plâtres. Curieusement dénué de batailles spatiales, cet opus a un réservoir restreint de scènes spectaculaires : très peu se prêtent à la conversion 3D. De plus, l’image encaisse l’écart de technologie : le 35mm est flou, assombri par la texture particulière de l’écran. Les lasers sont fades et la modélisation numérique de certains personnages est enlaidie par le relief (Watto le ferrailleur, le chef des Gungans). Aux effets des lunettes s’ajoutent ceux du mal de tête.
Mais le vrai mal reste de revoir cet épisode au cinéma, treize ans après sa première sortie, et de sentir aussi précisément le passage des années. À l’époque, La Menace fantôme avait su séduire son public : l’événement était si attendu qu’il bénéficiait déjà de ses faveurs, mais aussi d’une campagne de promotion sans précédent. Des milliers de produits dérivés, autant de personnages dans le film dont l’intérêt est mineur. En premier lieu la créature Jar-Jar, une piteuse parodie batracienne de Donald Duck. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que cet épisode est le plus décevant de toute la saga. La plupart des scènes d’action sont mal équilibrées (le voyage sous-marin, répétitif) et le découpage gâche une large part du morceau de bravoure final. On regrette le montage de la trilogie originale, qui avait fait du balayage un moteur du suspense : ici, il cale. L’ennui surprend alors pendant certaines scènes verbeuses censées éclaircir l’enchaînement des péripéties : il aurait fallu s’en débarrasser, laisser l’imagination y suppléer.
Ce n’est pas faute d’application : Lucas a eu plus de quinze ans pour rédiger sa prélogie, et il y a mis du sang et de la sueur. Le début de la saga poursuit le mythe œdipien avec l’histoire d’un élu mi-Moïse (il « libérera les esclaves »), mi-Christ (il « rétablira la paix dans la Galaxie ») certes plus attendue, mais bien menée. La naissance du futur Empire fournit au scénario de La Menace fantôme un statut géopolitique plutôt bien pensé, qui fait de la galaxie un jeu d’échecs tantôt diplomatique, tantôt guerrier. Mais cette dernière alternative est définitivement la moins favorisée, si ce n’est sur deux éléments : les sons et la musique. Ne soyez pas en retard au cinéma : vous manqueriez alors la salve d’applaudissements qui pourrait bien saluer les premières notes du générique. Quant aux bruitages, ils sont toujours assurés par Ben Burtt, déjà brillamment à l’œuvre dans la trilogie originale. Grâce à lui, les droïdes cliquettent et les podracers filent à grands coups de turbines rugissantes. Un aspect sonore qui provoque parfois l’envie de se détourner d’un écran de cinéma un peu trop ouvertement mercantile. C’est le problème de Lucas : il vend du rêve, et il le fait trop bien.