Il y a un très beau personnage dans ce nouveau Star Wars : Kylo Ren, le jeune méchant, terrifié par la perspective de ne pas être à la hauteur du modèle Dark Vador, figure la plus emblématique de la saga aux désormais sept films. Les parures supposées inquiétantes du seigneur Sith (sabre laser médiéval et capuche noire) cachent en effet assez mal les fêlures de ce curieux ado torturé dont le masque sert surtout à étouffer sa voix tremblante et à dissimuler ses yeux brillants. Moins robotique, plus enclin à céder à ses pulsions (déchainements de colère avec son sabre laser), l’anti-héros quitte même à deux reprises son costume et expose son visage à la lumière (ce que son idole ténébreuse n’avait fait que dans le dénouement de la première trilogie), fragilisant d’emblée son potentiel iconique et sa volonté de dégager une aura aussi prégnante que Vador.
On devine aussi qui se cache, en creux, derrière ce masque : J.J. Abrams lui-même, qui s’attaque à un mythe (de pop culture, plus que de cinéma) à ce point colossal que son créateur, George Lucas, a écorné son image en prolongeant la franchise au début des années 2000. On sait toutefois, depuis au moins Mission : Impossible III, que le fétichisme – pour de canoniques séries télévisées (Mission : Impossible, Star Trek), pour le cinéma de Spielberg (Super 8) – et le besoin de revenir aux pères fondateurs constituent le moteur même du cinéma d’Abrams. Au sens le plus noble du terme : le fétichisme n’est jamais chez lui une fin en soi, mais tient plutôt à ce qu’il y a plus émouvant dans la figure du « geek », soit une passion presque amoureuse pour quelques objets chéris et partagés au sein d’une même communauté. Que J.J. Abrams reprenne le flambeau sonne donc comme une évidence : cinéaste doué (quatre bons premiers films, dont le superbe Super 8 et deux Star Trek inventifs), bâtisseur d’univers sériels (Lost) et héritier de la féerie Amblin des années 80, il a tout du candidat idéal pour relever la tâche si ardue.
Une invitation, deux films
Le Réveil de la Force n’est toutefois pas à la hauteur des espérances. Moins simplement raté que moyen, le film peine surtout à véritablement décoller, s’en remet à un imaginaire désormais bien connu en esquissant par instants de belles idées, sans pour autant qu’Abrams parvienne, cette fois-ci, à happer le spectateur dans le monde mirifique qui s’ouvre devant lui. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer : on ne compte pas le nombre de plans de mains tendues entre les personnages, comme autant d’invitations que la première bande-annonce avait intelligemment recoupées en une même suite de visions émouvantes. Mais une invitation à quoi, au juste ? Car il y a deux films dans Le Réveil de la Force. Le premier, potentiellement magnifique, ne serait que mouvement et lumière (belle idée que ce soleil aspiré qui recrache une traînée de lumière rouge), fumée et matière (la neige, le sable), dans une multitude d’environnements aux couleurs à chaque fois différentes. Si le film prend parfois la forme d’une succession de péripéties marquée par la même ambition plastique que Star Trek Into Darkness, il bute toutefois sur le second film, plus suranné, où les idoles autant que des décors types de la saga (le Millenium Falcon, le bar interlope) viennent enrayer la mécanique. Par exemple : l’attaque de la nouvelle « Étoile de la mort », au cours de laquelle le Millenium Falcon émerge d’une forêt pour, après un bref moment de suspension, atterrir sur la neige. On repense un instant à la dernière partie du deuxième Star Trek, où le vaisseau traversait un lit de nuages sans heurts ni fracas, avant de reprendre sa folle descente. Seulement, ici, la cadence effrénée du récit semble comme endiguer ce versant poétique et ce goût des trouées dans le montage – car pas de temps à perdre, il faut bâtir une nouvelle mythologie, au détriment parfois des scènes d’actions.
Pourtant l’intrigue démarre sous les meilleurs auspices, comme un film de ruines ensablées où ressurgit, avec une réelle violence, le cœur sombre de la saga : après l’eugénisme place à l’esclavage (l’un des héros est un Noir ex-Stormtrooper dont le masque est maculé par une main ensanglantée), puis les génocides (l’un, inaugural, sur Jakku, l’autre causé par une lumière rouge mortifère), et enfin la célébration d’un nouveau fascisme. Mais, pour la première fois, le fétichisme d’Abrams joue contre lui. Au lieu de développer les ramifications de l’intrigue, il s’en remet à un programme plus nostalgique que mélancolique, où les acteurs d’origine (tous mauvais – Harrison Ford compris) se refont face pour éprouver le temps passé. L’idée était belle, là encore, mais le résultat, lui, laisse sur sa faim : ce défilé de vieillards brouille la carte du renouveau, les ruines reprennent le devant de la scène. C’est d’autant plus dommage qu’Abrams tenait avec ses nouveaux personnages des êtres plus torturés et attachants que les héros de la première trilogie – à commencer par Kylo Ren, déjà beaucoup plus fort que Vador, car moins monolithique et simplement iconique.