« Lâche prise », « Il faut laisser mourir le passé », « Enlève ce masque ridicule » : les injonctions à faire table rase de la mythologie se révèlent étonnamment nombreuses dans Les Derniers Jedi. De fait, le film s’attelle à tordre le cou aux attentes, en désamorçant des schémas narratifs (les origines de Rey, l’importance du mystérieux Leader Snoke) tout en escamotant les lignes bien tracées sur lesquelles repose la saga – les Jedi, les Sith, l’opposition entre le côté obscur et la lumière. Pour autant, cet appel au renouveau masque mal le manque de singularité du film, qui s’en remet à des petits pas de côté anecdotiques (des raccords-gags, comme cet apparent vaisseau qui se révèle être un fer à repasser) plus qu’il ne chamboule véritablement le fond de l’affaire. Il suffit de s’arrêter sur quelques scènes charnières pour s’en convaincre : quand l’occasion se présente, le film n’arrive pas à abandonner la princesse Leia et la ramène à la vie ; lorsque Luke Skywalker doit trouver les réponses à sa quête, c’est le fantôme de Yoda, personnage dont le sort semblait pourtant définitivement réglé, qui vient lui proférer quelques conseils d’outre-tombe, etc.
D’où la vraie question qui se pose après la découverte de ce nouveau volet : que se passe-t-il quand on remplace un fétichiste déférent (mais bon metteur en scène) par un fétichiste réformateur (mais piètre cinéaste) ? La réponse se trouve dans les parenthèses : un mauvais film. Si Le Réveil de la Force de J.J. Abrams s’avérait entravé ici et là par le défi qui l’animait (tendre la main vers le passé de la franchise pour inventer son futur), empreint d’une indéniable nostalgie et d’un respect trop prononcé à l’égard de la première trilogie, le film était par ailleurs régi par un sens de la découpe et par une inventivité plastique qui manque cruellement à Rian Johnson. Tout au mieux, ce sont ici des intuitions fugaces – une déflagration silencieuse, une planète rouge recouverte de sel – qui donnent au film quelques images notables. Mais pour le reste, l’écriture repose sur une logique d’entrelacement qui marque rapidement ses limites : si le premier raccord entre Kylo Ren et sa mère, Leia, semble tracer un enjeu émotionnel en plein milieu d’une bataille interstellaire, ce principe de montage est ensuite systématisé en une règle narrative (la connexion « télépathique » de Kylo Ren et Rey) à laquelle sont subordonnées les affects des personnages. Or, non seulement le film s’en révèle appauvri, mais il accuse du même coup un manque d’ampleur et de spectaculaire assez surprenant, tant le récit est construit autour d’un affrontement sans cesse différé et qui, in fine, sera même définitivement esquivé : plutôt que de rejouer l’habituel duel final au sabre laser, Johnson en filme un simulacre assumé. En soi la scène pourrait être belle (et rejoint l’intention de décevoir les attentes pour mieux emprunter un nouveau chemin), si elle n’illustrait pas, de manière bien plus flagrante encore que pour Le Réveil de la Force, le problème de cette nouvelle trilogie : l’obstacle, c’est le fantôme, le poids du passé qui tarde à se dissoudre. Les fans de Star Wars s’en satisferont peut-être, les amateurs de cinéma un peu moins.