On pouvait légitimement être curieux du premier film réalisé par le scénariste star Charlie Kaufman (Dans la peau de John Malkovich, Eternal Sunshine of the Spotless Mind). Présenté à Cannes en sélection officielle en 2008, Synecdoche, New York révèle, hélas, rien moins que la totale vacuité d’un cinéma prétentieux et ampoulé, replié sur lui-même, aux ambitions trop grandes pour les frêles épaules d’un apprenti cinéaste bien en peine de s’intéresser à autre chose que ses petits tourments intérieurs.
Quand Charlie Kaufman explose en 1999 avec le scénario du premier long métrage de Spike Jonze, Dans la peau de John Malkovich, beaucoup crient au génie. On loue alors la profondeur psychanalytique de ce délirant trip dans les méandres de l’absurde, où le décalage humoristique sert de sas de décompression pour empêcher les personnages de virer dans la folie pure. Kaufman écrit par la suite pour Michel Gondry (Human Nature et surtout le très beau Eternal Sunshine of the Spotless Mind), George Clooney (Confessions d’un homme dangereux) et Spike Jonze à nouveau, pour le délirant et autobiographique (autant qu’un scénario de Charlie Kaufman puisse l’être) Adaptation. Si la mécanique de l’auteur montre souvent un peu trop ses rouages, les personnalités des réalisateurs qui mettent en images ses contes schizophrènes les tirent vers le haut.
C’est précisément la raison pour laquelle Synecdoche, New York est un ratage dans les grandes largeurs. Sans regard neuf porté sur son travail, sans le recul d’un faiseur d’images pour transcender ses obsessions, Kaufman tourne à vide et fonce droit dans le mur. Michel Gondry, par exemple, trouvait dans le matériau de Kaufman un parfait écrin pour exprimer sa poésie et laisser libre cours à son cinéma fantastique de couturier artisan. Charlie Kaufman, lui, se contente de filmer son scénario en privilégiant une image glauque chic et toc, dont les tons verdâtres ne servent qu’à complaire le réalisateur et ses personnages dans un underground de carton-pâte.
Mais Synecdoche, New York ne se contente hélas pas de son esthétique putassière : à l’instar de son personnage principal, un dramaturge dépressif incarné par Philip Seymour Hoffman en roue libre, Charlie Kaufman s’attaque ici à son grand œuvre, son Ulysse. En 2h05, le film tente de nous raconter toute une vie de défaites et de désillusions, que l’alter ego du cinéaste met en scène dans un projet délirant qui le mènera à reconstituer un New York grandeur nature dans un gigantesque entrepot désaffecté, où des comédiens hébétés mais consentants s’appliqueront à recréer un simulacre de quotidien, allant pour certains jusqu’à incarner le dramaturge lui-même, ses épouses et son entourage. Obsédé à l’idée de réduire à l’infiniment petit ce qui sépare la fiction du réel, rongé par l’échec de son premier mariage et la perte de la garde de sa fille, l’anti-héros sombre dans la folie créatrice sans voir le monde s’écrouler autour de lui, trop occupé à le transcrire pour son spectacle sans spectateurs.
Tentant le grand écart entre grande fresque mélodramatique et comédie indé cynique, entre le premier et le second degré, Charlie Kaufman sombre la tête la première dans un naufrage que même les comédiens ne peuvent pas sauver (beau casting pourtant, qui a du signer sans lire le scénario et doit aujourd’hui se mordre les doigts de s’être laissé embarquer dans une telle galère). Synecdoche, New York a beau tenter de nous arracher des larmes, on reste de marbre devant tant de nombrilisme. À l’instar des pantins manipulés par John Cusack dans Dans la peau de John Malkovich, les personnages du film sont aussi vides que leurs doubles fictionnels. Lorsqu’à la fin, le héros traverse les fausses rues jonchées de cadavres de son New York d’opérette, s’avançant vers son dernier souffle sans avoir trouvé une réponse satisfaisante à ses questions, on s’interroge : Kaufman a‑t-il eu un éclair de lucidité et saisi toute la vanité et la vacuité de son entreprise ? On le lui souhaite.