Derrière les parures atypiques de ce film en stop-motion, coréalisé par Charlie Kaufman (plus connu pour son travail de scénariste pour Spike Jonze et Michel Gondry), se cache en réalité un véritable marronnier du cinéma d’auteur international : donner à voir la solitude qu’engendre le monde contemporain, cet alliage impitoyable de flux et de biais de communication qui font de nous une armée de robots uniformes. En l’espace de quelques années, c’est un véritable sous-genre qui a vu le jour, reposant sur les mêmes idées et les mêmes images : l’aéroport comme grande Mecque de la modernité où transitent les âmes esseulées (Bird People), le monde contemplé de loin à travers une fenêtre (Her, Blind), la misère sexuelle et affective comme grand mal de notre époque, etc. On retrouve tous ces éléments dans Anomalisa, qui embrasse pleinement cet horizon en faisant de ses personnages de véritables robots (leurs visages ressemblent à des plaques détachables comme collées au reste de leurs têtes) esclaves du capitalisme – ils sont au choix réduits à une fonction professionnelle ou sont là pour assister à une conférence sur le service après-vente donnée par Michael, le héros. De ce programme balisé, le film tire d’abord de petites saynètes parfois amusantes mais s’effiloche rapidement une fois installé dans l’hôtel où se concentre le plus gros du récit.
Kaufman et Duke Johnson dégainent alors deux nouvelles cartes : l’hôtel comme espace mental du personnage (dans le sillage de Shining ou de Barton Fink) et une histoire d’amour qui va devenir, sans crier gare, le cœur du film (jusqu’à lui donner son titre). L’idée est simple : dans ce monde où tout le monde arbore le même visage et la même voix, le corps de Lisa, avec ses imperfections et son timbre hésitant, détonne et fait fondre le cœur du héros. Mais c’est paradoxalement lorsqu’il s’attaque à cette matière plus à même de nous émouvoir, en délaissant un peu ses gags où chacun est réduit à un ensemble de fonctions robotiques, que le film se révèle le plus faible. Ce pan du récit semble d’abord ne constituer qu’une sous-intrigue parmi d’autres et on est donc assez surpris à l’arrivée par la place qu’elle occupe. C’est en soi la marque d’un échec : en dépit du dispositif qui fait de Lisa et de Michael deux êtres uniques au sein d’une large galerie de figurines et de petits automates, l’héroïne, doté de signes distinctifs (dont une cicatrice) et de sa voix propre, peine pourtant à se démarquer du reste des protagonistes. Sans compter que le rapprochement des corps, assez long au regard de la durée totale du film, se replie sur un seul et même espace (la chambre de Michael) trop peu porteur d’enjeux de stop-motion. Il faut peut-être trouver l’explication de cet assèchement dans l’origine théâtrale du film (tiré d’une pièce écrite par Kaufman en 2005), mais les à-coups de la narration ne peuvent être tenus comme seuls et uniques responsables des limites trop grandes du projet.