Comme beaucoup de cinéastes qui se relèvent d’un flop douloureux, Richard Kelly raconte, à propos de The Box, qu’il est son film le plus personnel : un argument de vente toujours efficace lorsque l’on tente tant bien que mal de justifier une commande. On lui accordera le bénéfice du doute, bien que ce troisième long métrage soit également sa première adaptation : celle d’une nouvelle de Richard Matheson, l’auteur de L’Homme qui rétrécit et Je suis une légende, déjà portée au petit écran sous forme d’un épisode de La Quatrième Dimension. Les correspondances entre la série de Rod Sterling et l’univers de Donnie Darko sont nombreuses et l’on retrouve, dans The Box, le même univers familier et légèrement inquiétant, qui font d’une simple petite rue anonyme d’une banlieue américaine quelconque le théâtre épouvantable des angoisses et frustrations de personnages ordinaires. Soit l’histoire d’un couple qui reçoit une boîte avec, à l’intérieur, un simple bouton et la proposition suivante : « Appuyez, vous recevrez un million de dollars. En contrepartie, une personne inconnue mourra. »
The Box séduit d’emblée, de la reconstitution de l’Amérique seventies au couple caricatural et niais formé par Cameron Diaz et James Marsden − tous deux impeccables en icônes d’une Amérique coincée entre son dream originel et la gueule de bois du Watergate, de JFK et du Vietnam. On croirait presque à ce simulacre de drame prestigieux taillé pour les Oscar mais, comme chez Cronenberg, référence incontestable, les sourires Émail Diamant cachent des chicots pourris. La « parfaite famille parfaite » formée par Norma et Arthur Lewis et leur petit garçon ressemble à une paire de Ken et Barbie passée à la moulinette d’un sale gosse : papa astronaute à la NASA est privé de la mission de sa vie à la dernière minute (goodbye, American dream) et maman la prof sexy se fait humilier en plein cours par un de ses élèves, à cause de son pied bot.
The Box : avec un titre pareil, Kelly se frotte à une autre boîte mystérieuse, celle ouverte par Naomi Watts et Laura Harring dans Mulholland Drive, de David Lynch. Encore un maître encombrant auquel il est difficile de ne pas penser : cet étudiant qui vient narguer Arthur Lewis dans une soirée mondaine ne rappelle-t-il pas l’étrange étranger harcelant Bill Pullman dans Lost Highway ? L’entourage professionnel et familial des Lewis ne semble-t-il pas sorti tout droit des forêts de Twin Peaks ? Richard Kelly est heureusement plus intéressant qu’un sage élève appliqué et creuse son propre sillon. Au détour de quelques scènes, The Box parvient à se hisser au-dessus du simple divertissement haut de gamme : d’abord, parce que Kelly maîtrise parfaitement l’art de la fusion entre étrange et familier pour aboutir à un malaise parfois insoutenable, d’autant plus intéressant que l’on ne sait jamais ce qui, du bizarre ou du normal, est le plus angoissant. Les scènes entre Cameron Diaz et Frank Langella, qui incarne le mystérieux homme d’affaires à l’origine de cette proposition, sont vertigineuses : le visage déformé par un effet spécial saisissant, le vieil homme est-il réellement plus effrayant que la jeune femme ? Jamais les traits grossiers de Cameron Diaz n’avaient été utilisés à si bon escient. Le dilemme sur lequel repose tout le film et la culpabilité qui l’accompagne n’ont pour seul but que d’obliger le couple à se regarder dans un miroir et accepter sa propre monstruosité. À ce titre, le final est réellement bouleversant, la rédemption s’accompagnant, irrémédiablement, d’un sacrifice.
Hélas, Richard Kelly ne peut pas s’empêcher de noyer son film dans un discours new age mâtiné de digressions fantastiques aussi incompréhensibles que rébarbatives. Si bien qu’au milieu de The Box, l’intrigue s’égare dans une succession de scènes vaguement spectaculaires mais à l’intérêt très limité : à quoi bon ? Là, précisément, Kelly passe pour ce qu’il n’est pas : un jeune cinéaste un brin arrogant qui n’a pas les moyens de ses ambitions. En plus de plomber l’ambiance, Kelly fait valser le fragile équilibre d’un film qui, jusque là, marchait avec brio sur un fil tendu entre le divertissement de studio et l’œuvre d’un auteur qui dynamite la mécanique des blockbusters de l’intérieur. Il faudra sans doute du temps, et un peu plus de simplicité, pour faire quelque chose de réellement passionnant d’un talent indéniable, mais encore trop brouillon.