Cinémas transgressifs par essence, le fantastique et l’horreur ont toujours eu besoin de limites auxquelles se confronter, et de bornes à dépasser. Parmi les tabous les plus difficiles, l’enfant dépourvu d’innocence tient une place bien à part dans le genre – une figure narrative déjà copieusement exploitée, et pas toujours de la meilleure façon ces dernières années. Après un Morse somptueux, The Children poursuit la tentative méritoire de ramener cette figure dans des voies plus abstraites, avec un certain succès.
Réunis dans une maison de campagne, deux jeunes couples avec enfants entendent passer Noël en famille, avec dindes, cadeaux, boules de neiges et crises de larmes. Rien que de très normal, même l’adolescente boudeuse parce qu’elle n’a pas pu rester avec ses amies pendant les vacances et qu’on a dû traîner pour venir est présente à l’appel. Tout se gâte, cependant, lorsque les adultes se trouvent confrontés à une situation inédite : les accidents les plus épouvantables surviennent, et il semble que leurs charmants quatre petits enfants en bas âge n’y soient pas étrangers…
Transgresser les pires tabous est une tentation toujours très présente pour les réalisateurs et scénaristes d’horreur et de fantastique – après tout, le genre a ceci de symbolique qu’il permet toutes les audaces, souvent à la barbe des censeurs et des moralistes de tous poils. Diaboliser l’enfance a ceci de difficile, dans le monde occidental, que le tabou relève d’une perception de l’enfant qui transcende les religions, pensées et philosophie. Un enfant, c’est gentil, innocent, c’est la matière pure souillée par les adultes, si l’on en croit Rousseau.
Le cinéma fantastique a quelque peu écorné cette image, avec des films-chocs tels que Le monstre est vivant (un bébé anthropophage, voyez-vous ça!), La Malédiction (avec un Antéchrist de 6 ans) ou le Simetierre adapté de Stephen King. Le classique Village des damnés, où une puissance extra-terrestre prenait le contrôle des chères têtes (littéralement) blondes d’un village, qui se retournaient contre leurs parents, La Nuit des morts-vivants, où une gamine dévore sa mère, et Les Innocents de Jack Clayton, où le spectateur était mis dans l’inconfortable position de devoir décider en son for intérieur si deux charmants bambins étaient ou non de perfides manipulateurs demeurent les plus impressionnants des exemples du genre. Avec l’évolution des mentalités, et l’érosion sensible du tabou associé, les images de bambins diaboliques ont quelque peu perdu de leur superbe : ainsi, le remake de la Malédiction peine à renouveler le malaise de l’original.
Il semble cependant, après le remarquable Morse, que le cinéma européen tente de relever le défi de régénérer l’enfant diabolique. Tom Shankland, aux commandes de The Children, va ainsi donner avant tout dans l’abstrait, dans la suggestion. À aucun moment il n’associera donc directement à l’écran les gamins avec les épouvantables épisodes de violence sauvage dont seront victimes les parents. Si c’est une approche passablement pertinente visuellement parlant, cela permet également de placer The Children dans la longue et heureuse tradition des films qui puisent avant tout dans l’imaginaire du spectateur pour susciter la peur. Shankland, également au scénario, applique ce traitement à son intrigue : on ne saurait jamais réellement, en effet, ce qui motive les actes barbares qui surviennent dans The Children. Comme les morts-vivants du cinéma d’horreur, les agresseurs existent par leurs actes sans que l’on puisse leur attribuer de mobile, ou de raison d’agir ainsi. Cela les rend d’autant plus terrifiants.
Formellement, Shankland se révèle un réalisateur ambitieux : multipliant les effets de superposition, les exagérations, les effets de montage violents, il tente de donner un alter ego visuel au malaise que le concept de son scénario procure. Cependant, à la fois le traitement de celui-ci, et une exploitation un peu trop enthousiaste de ses effets stylistiques plombent son film. Décidant de désigner dès le départ les enfants comme les criminels, le réalisateur-scénariste ne se laisse que peu de marge de manœuvre pour instiller un doute qui eût été pertinent dans l’esprit de son auditoire – fort heureusement, il se ménage une petite marge de narration qui se révèle des plus fécondes. Shankland semble très fier de son intransigeance scénaristique : pour appuyer l’épouvante qui saisit ses protagonistes, il n’hésite pas à en faire trop, lors de séquences parfois d’une ennuyeuse lourdeur à force d’effets appuyés.
Manquant de maturité formelle, The Children n’est donc finalement pas si proche de Morse. Il demeure cependant que la volonté affirmée du réalisateur de revenir vers un fantastique à l’ancienne, pétri de références littéraires et télévisuelles (avec de notables influences narratives des romans d’horreur pulp des 1960’s et de la Quatrième Dimension). C’est donc la capacité certaine de mettre en scène l’inconnu et l’inimaginable qui fait la plus grande qualité de The Children : l’imagination au pouvoir fait des ravages avec cette histoire d’enfants homicides, et supplée aux faiblesses d’un film qui vaut malgré ses défauts d’être découvert.