Depuis que la culture pop(ulaire) façonne les produits industriels, les zombies sont invités à la table de la culture de masse aux côtés des super-héros et des personnages de fantasy. Une ressortie de La Nuit des morts-vivants s’impose alors pour saisir combien ce premier film de George Romero a posé certains des grands principes du genre.
Car, à l’intérieur du genre d’épouvante, il s’est distinctement crée une sous-catégorie film de zombies. Le premier caractère, récurrent, est celui du huis-clos de la survie, souvent dans un refuge de fortune. Dans La Nuit des morts-vivants, l’entrée dans la maison se fait rapidement, et c’est bien cet environnement qui oppresse, non la nature, peu montrée (et peu effrayante) chez Romero. D’abord, parce qu’il cloître, et, pire encore, parce qu’il enferme avec des congénères inconnus, peu dignes de confiance. Les zombies disparaissent vite dans La Nuit des morts-vivants, et l’on sent bien que ces créatures n’intéressent pas seulement Romero pour leur dimension monstrueuse. Probablement pour des raisons financières, le mort-vivant est pratiquement semblable à l’être humain lambda : la menace à visage humain, d’ailleurs ignorée par la première victime. Dès lors, le motif d’inquiétude, à la vision du monstre, ne dérive pas de son apparence, mais de sa ressemblance. La longue poursuite de la jeune fille par un homme qu’elle a croisé au cimetière insiste sur la dangerosité du mal, mais c’est surtout l’absence d’explication claire de la société civile à la venue des morts-vivants qui constitue un facteur d’angoisse : punition divine, crise d’hystérie collective, virus, « tueurs », « radiations issues d’un satellite revenu sur Terre »… Cette incertitude a pu disparaître de déclinaisons postérieures, où le zombie équivaut volontiers à un corps en état avancé de décomposition issue d’un virus identifié (World War Z, typiquement). Le pourrissement de la chair effraie aussi, parce qu’il fait visualiser le devenir après la mort, mais il reste d’abord circonscrit à un cadavre inerte dans un escalier, avant de s’appliquer aux morts-vivants.
La voracité obsessive des morts-vivants, qui se mue parfois en pulsion de meurtre, renforce l’aspect monstrueux des morts-vivants, mais il leur reste une parcelle d’intelligence qui les tire vers l’humain. En plus de la sensation de faim, il savent aussi se servir d’outils (une pierre pour casser une fenêtre), principe de base de l’évolution. Les morts-vivants ont tout du mort : ils sont inconscients de leur intégrité physique et ont été saisi au quotidien, sans distinction d’âge ou de dignité (certains se promènent nus), mais ils ont encore l’apparence et des manifestations du vivant. Romero pose ainsi cette règle : il faudra détruire le cerveau du zombie, et elle résonne un peu comme un commandement qui dirait « Cela permettra de véritablement nous différencier », plus que comme un moyen de les neutraliser (ils sont déjà morts, et, individuellement, ne constituent pas une menace immédiate).
Suggérer, puis montrer
L’autre trouvaille de La Nuit des morts-vivants réside dans un art du récit, de la vision indirecte. Les survivants enfermés racontent leur rencontre avec les zombies, sans recours au flash-back : l’un d’entre eux décrit ainsi sa fuite en voiture à travers la masse des morts-vivants, inconscients de leur intégrité physique. Ils « explosent » littéralement, dans un déluge d’organes vitaux et de viscères qu’il n’est possible d’imaginer qu’à travers les paroles du témoin. La radio, puis la télévision, seuls contacts avec le monde extérieur, auront le même rôle de suggestion : le présentateur évoque le cannibalisme des « tueurs » avant qu’il ne soit montré à l’écran, renforçant son aspect de tabou, d’interdit visuel, jusqu’à ce que Romero se décide à le filmer. Si cette vision du cannibalisme est devenue banale dans le genre du film (ou de la série) de zombie, il faut se replacer en 1968, et saisir l’impact d’une telle vision sur le spectateur, que Romero amène et décline avec l’ingestion peu ragoûtante d’un insecte vivant par un zombie, puis de cadavres brûlés – cuits – avant celle d’un être humain « cru ». Les repas des zombies donnent lieu à des batailles de viscères et des gros plans très gore, suscitant une autre forme d’horreur, plus agressive.
La portée politique de La Nuit des morts-vivants a pu être mise en avant dans différentes interprétations du film : à l’origine, il y a notamment le choix d’un acteur principal noir, Duane Jones, chose suffisamment rare à l’époque pour être remarquée. Bien entendu, la dernière scène du film rend un peu plus explicite cette interprétation politique, à la façon des films de Carpenter. La réussite de Romero est de laisser planer l’ambivalence sur l’influence de ces préjugés raciaux dans les relations entre survivants. C’est peut-être la ressemblance entre morts-vivants et humains qui en est simplement la cause. Le spectateur de l’époque ou contemporain considère en priorité ces préjugés raciaux, mais ce sont toutes les relations entre personnages qui semblent vouées à l’échec. Une femme est à la limite de l’autisme, l’autre s’efface, les parents ne sont que conflit, les hommes jouent aux coqs… Le refuge lui-même n’est pas sûr, avec la menace permanente d’une intrusion comme d’une infiltration : envers et contre tout, ils survivent. Cet instinct s’oppose à celui des morts-vivants, mais l’égoïsme qui anime respectivement leur survie et leur faim les réunit. Les morts-vivants ne partagent pas leur repas.