On le sait depuis le monstrueux The Devil’s Rejects : Rob Zombie a une vision pour l’Amérique, et ce n’est pas joli à voir. En 1974, Tobe Hooper soulevait le couvercle recouvrant une Amérique rurale devenue cloaque monstrueux – aujourd’hui, Rob Zombie semble bien décidé, au fil de sa filmographie, à en explorer les recoins les plus profonds, les plus scabreux. Avec son Halloween II rien moins que baroque, il poursuit à la fois son portrait d’une Amérique pourrissante, et son exploration de la psyché maléfique de Michael Myers. Glaçant.
Alors qu’il était fermement opposé à la réalisation d’une suite à son Halloween – certainement l’un des remakes les plus pertinents jamais tournés –, c’est finalement Rob Zombie qui s’est installé derrière la caméra pour Halloween II. L’ex-star du rock refusait que l’on dénature sa « vision ». Qu’il soit rassuré – après ce nouvel épisode, bien téméraire sera celui qui décidera de toucher au tueur au masque, tant le film représente une vision unique du slasher.
Halloween II reprend donc précisément à la fin du premier volet (comme d’ailleurs l’avait fait The Devil’s Rejects vis-à-vis de son prédécesseur/brouillon, La Maison des 1000 morts). Survivante du premier massacre, Laurie Strode n’en demeure pas moins violemment traumatisée. En particulier, elle reste persuadée que le terrifiant Michael Myers n’est pas mort, et va revenir pour la chercher, pour finir ce qu’il a commencé. Bien entendu, elle a parfaitement raison – peut-être même pas autant que ce qu’elle s’imagine…
Héritier du giallo – Vendredi 13 et consorts n’étant que des resucées de l’extraordinaire Baie sanglante de Mario Bava – le slasher est certainement un genre constitutif de l’identité cinématographique des années 1980 aux États-Unis. De ses myriades d’avatars, on retiendra avant tout les histoires grand-guignolesques de Freddy Krueger, et le minimalisme répétitif de l’interminable saga des Vendredi 13. L’unique incursion du maître John Carpenter dans le genre mérite cependant qu’on s’y arrête, nonobstant la médiocre qualité de sa litanie de suites. En 1978, en créant le tueur masqué Michael Myers, Carpenter reprend le propos paranoïaque de son premier film, Meurtre au 43e étage : l’American way of life, capitaliste et WASP, n’est qu’un leurre ; rien, ni la sacro-sainte famille, ni la fausse sécurité des biens de consommation ne seront un rempart contre la sauvagerie toujours à l’affut au plus profond de l’être humain. Nous étions à l’aube des années Reagan, et Carpenter, dans la décennie suivante, n’eut de cesse de poursuivre son combat, le mors aux dents. Cette dimension idéologique, Rob Zombie l’a bien intégrée, mais il n’est pas l’héritier du seul Carpenter. Figure aussi dans son corpus le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974) – et le croisement de ces deux univers est enrichi de son propre paradigme, qui se manifeste dans sa galerie de freak brothers pervers, bien plus hallucinés que ceux de Gilbert Shelton.
Zombie est loin d’aimer son prochain. Sa peinture, dépourvue du moindre humour, de l’Amérique profonde ou banlieusarde, en témoigne. L’humanité y est vile, odieuse, fade et repoussante – une lie perpétuelle dont il justifie le massacre barbare par ses rebelles dans The Devil’s Rejects, comme par l’automate Michael Myers dans Halloween. Passer de l’autre côté du miroir, voilà la démarche logique qui restait à entreprendre à Rob Zombie. C’est chose faite avec Halloween II, où le réalisateur imprime à nouveau une marque originale à la franchise, en attachant à la famille Myers un monde onirique baroque, une approche inédite dans une carrière par ailleurs plutôt portée sur le gore cradasse et délirant. Autant dire que les exégètes de la franchise Halloween comme les amateurs de slasher seront désarçonnés.
Dans une mise-en-scène très majoritairement nocturne, jouant sur les ombres et la menace latente, Zombie va donc répondre à son propre cahier des charges et aligner une belle série de meurtres barbares. Mais bientôt, le récit va opter pour une plongée concentrique dans un monde imaginaire sombre, aux ténèbres bilieuses. Car ce que met en scène Rob Zombie, ce n’est rien moins que son Alice au pays des merveilles. Celle de Lewis Carroll veut-elle échapper à l’oppressante société victorienne ? La figure d’Alice chez Zombie n’est pas celle qui fuit vers les éléments chaotiques, mais celle-là même dont surgissent ces éléments, après qu’elle s’est déjà écartée de la norme.
Le monstre d’Halloween représente l’apex de l’étude de la folie par Rob Zombie. Baroque (autant au sens premier d’imparfait, qu’à celui plus communément admis de chaotique), cruel, décadent, et déséquilibré, Halloween II a le mérite de mener cette étude presque sociologique à son terme. Les cinémas provocateurs des années 1970 (road-movie, fantastique et épouvante, notamment) ont débusqué la figure insane du monstre tapi chez l’Américain. Zombie poursuit et achève la pertinente et terrible analyse de Tobe Hooper, à une époque politiquement correcte où pousser son discours et sa vision du monde à de telles extrémités artistiques et esthétiques constitue presque un acte militant. Car il fut un temps, dont se souvient manifestement Zombie, où le fantastique et l’horreur étaient par excellence les genres subversifs du 7e art. Ce que Rob Zombie a à nous dire a atteint, avec Halloween II, une forme de complétude. Ce que sera son prochain projet, en regard de cette descente aux enfers voulue et pensée, ne peut que nous fasciner – ou nous terrifier.