Une bande de jeunes touristes, deux Américains et un Islandais, parcourent l’Europe afin d’accumuler les conquêtes féminines. Au cours de leur périple, ils vont se retrouver dans un petit village slovaque où on leur a promis monts et merveilles. Au lieu de quoi, ils tombent sur un réseau de torture particulièrement sordide qui vend ses prestations à des sadiques fortunés. Derrière ce synopsis prometteur, le réalisateur dissimule son manque d’investissement filmique en ne se concentrant complaisamment que sur les scènes gores.
Une jeune Japonaise est sauvée in extremis d’une mort lente et douloureuse par un jeune Américain tandis qu’elle se faisait brûler au chalumeau par un pervers. Mais le chevalier servant arrive légèrement trop tard, le supplice ayant déjà commencé, la jeune femme a la moitié du visage boursouflé et l’œil droit sorti de son orbite tel un pendentif lamentable sur la chair cramoisie. Afin d’échapper à leurs tortionnaires plus aisément, l’Américain se voit contraint de sectionner l’œil au ciseau. La main tremblante, il coupe la membrane qui maintenait le globe oculaire d’où s’échappe un liquide épais et blanchâtre, qu’un gros plan nous permet d’apprécier à loisir.
Cette scène au contenu explicite fait figure de sommet horrifique, sorte de point culminant de l’atrocité physique et psychologique, principal attrait du film d’Eli Roth. Ce jeune cinéaste, loué par Quentin Tarantino (producteur exécutif du film) et Peter Jackson, considère l’horreur cinématographique comme interne à l’image. La garantie de son efficacité tient avant tout à la qualité du maquillage qui saura rendre au mieux les ravages subis par les personnages. La trame démarre calmement avant de s’enfoncer progressivement dans l’ultra-violence, que Roth retranscrit à l’écran dans ses moindres détails. Mais en l’abordant de manière frontale sans vraiment se poser la question de son mode de représentation, il se dispense totalement de tout enjeu esthétique, privilégiant l’effet choc d’une mise en images naturaliste à l’élaboration visuelle de l’horreur. Avec un tel procédé, l’horreur ne naît plus dans le regard du spectateur mais figure dans la vision qu’on lui inflige. Hostel ne fonctionne que sur un mode d’autosuffisance comme le démontre la longue première partie qui tente d’instaurer de l’érotisme en exhibant des filles nues. Ces corps exposés, offerts au spectateur, tuent dans l’œuf toute possibilité de désir, sans lui laisser le temps d’éclore, puisque de fait il est déjà consommé.
À l’opposé, dans Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), la réalisation utilise les motifs et les cadrages pour annoncer l’horreur à venir. Elle fait ressentir la violence, plus qu’elle ne la dévoile en mettant longuement en valeur un dos de femme puis un crochet de boucher avant que l’un ne transperce l’autre (en hors-champ). La terreur qu’elle engendre n’est pas due au descriptif du scénario, mais à l’exécution de la mise en scène qui, en poussant à l’extrême la folie hystérique des situations, fait du film un poème macabre, où l’horreur exalte la beauté de la démence. Roth aura beau se targuer d’avoir l’histoire la plus immonde jamais contée, il ne peut donner corps à son film en se contentant d’illustrer son scénario plutôt que de le mettre en scène, le privant ainsi du point de vue nuancé dont il aurait besoin.
Car, ce qui rend Hostel vraiment détestable, ce n’est pas tellement sa volonté de choquer l’audience à coup de scènes gores et sales, ce qui, au mieux, aurait pu le rapprocher des séries Z underground des années 1970/80, mais plutôt son exécrable vision du monde que l’absence d’investissement formel laisse entrevoir. On peut légitimement se demander pourquoi le film se situe en Slovaquie et non pas aux États-Unis. Un tel déferlement de violence n’est-il pas concevable en Amérique du Nord ? Faut-il que pour en arriver à une pareille déshumanisation, ces événements ne puissent se produire que dans un vieux pays ravagé par une ancienne dictature, et dont la population ne se résume plus qu’à une bande de dégénérés sans âme ? Hostel nous présente une Europe décharnée, mélange de petits villages rustiques et de ruines délabrées. D’Amsterdam à l’Europe de l’Est, les hommes ont des tronches de travers, sont rustres et sans scrupules, les femmes sont toutes des catins, aux mensurations de mannequins mais profondément cupides et arrivistes. Les pauvres sont aux bottes des nantis qui sont pour leur part des sadiques qui se cachent derrière l’image de bons pères de famille. L’Europe est le continent de l’alcool, des pétards, du sexe, de la perversité, de la décadence. Un riche Américain s’y offre le délire ultime de pouvoir tuer quelqu’un. Face au conseil de le faire d’une manière rapide avec une arme à feu, il rétorque par la négative, affirmant que « c’est trop américain ». Il faut que ce soit lent, il faut que ce soit douloureux, il faut que ce soit européen ! Elle est jolie l’Europe vue de chez Roth, elle est archaïque, elle est corrompue (on découvre que tout le village trempe dans le réseau), elle sent Vichy, le nazisme, le communisme, Milosevic et Tchernobyl.
Roth ne s’arrête pas là dans ses schématismes. Lorsque la touriste japonaise, dans sa fuite pour regagner un monde civilisé, aperçoit son reflet et qu’elle constate la bouillie rougeâtre qui forme désormais son visage, elle décide de se suicider. Elle se jette sous un train, son corps déchiqueté éclabousse tous les passants qui se trouvent sur le quai, et crée ainsi une diversion qui permet au héros de s’échapper. Étrange conclusion qui sous-entend qu’une femme défigurée n’a plus de raison de vivre, ce qui la rend inutile donc sacrifiable à la cause du personnage principal. La morale douteuse continue jusqu’à la fin, où le héros devient tortionnaire à son tour pour se venger de ce qu’il a subi : un retournement aussi convenu que facile, qui simplifie la question du traumatisme, et qui déduit un peu rapidement qu’une victime est vouée à se transformer en bourreau.