Prolifique auteur chinois de scénarios – dont celui de Shower – Diao Yinan est également réalisateur de deux films, Train de nuit étant le premier exploité en France. Pour satisfaire son ambition de décrire le mal-être de la population chinoise, le réalisateur a pris le parti de faire le portrait croisée d’une humanité intimement dévastée, et d’un environnement urbain dépouillé et froid, au croisement de All Tomorrow’s Parties de Yu Lik-wai et Still Life de Jia Zhang-ke.
Wu Hongyan est huissier de justice – ce qui équivaut en Chine autant à assister les procès que, à l’occasion, à se faire exécuteur des hautes œuvres. Engoncée dans un quotidien passablement blême, Wu cherche vaguement l’âme sœur sans pour autant sembler se décider à s’investir vraiment dans sa recherche. Tout, dans son existence, est à l’avenant de son comportement dans la salle de bal du club matrimonial : de tous, elle est la seule à rester sur le banc lorsque tous les autres dansent déjà. Le jour où elle rencontre Li Jun, qui parvient à la troubler, semble être le signe d’un changement pour elle, mais celui-ci s’avère être l’ex-amant d’une condamnée à mort qu’elle a elle-même exécutée.
La peine de mort en Chine : voilà un sujet fort peu traité par le cinéma. C’est le grand courage de Train de nuit : celui d’aborder de front un tel sujet. De fait, le ton volontairement froid de la narration ne fait que renforcer l’horreur kafkaïenne du procédé, lors de scènes dont la tonalité en retrait renforce encore le malaise évident provoqué par la situation. Mais si cette idée fonctionne bien dans ces circonstances, l’atonalité générale de la mise en scène, l’absence de découpage technique le rapproche plus de la narration anémiée et absconse d’un All Tomorrow’s Parties que de la lenteur signifiante de Still Life.
Désirant rapprocher l’inhumaine architecture industrielle de l’humanité dévastée dans le cœur de ses protagonistes, Diao Yinan signe quelques moments de grâce (la danse de la voisine de Wu dans un cabaret sordide, notamment), mais se cantonne généralement à des scènes passablement explicatives, qui ne laissent que rarement la place au doute concernant les pensées et les motivations des protagonistes. La culpabilité, le vide intérieur de Wu sont présentés dans des scènes lourdement univoques. Sa relation tardive avec son amant gagne d’ailleurs en intensité grâce à cela : par rapport à une vie réglée, et une mise en scène sans doute ni quiproquo, qu’est-ce qui la mène à accepter cette relation, et la façon dont elle évolue ?
Un doute bienvenu, qui clôt Train de nuit sur une scène étrange, inachevée, qui n’est pas sans rappeler le magnifique final panthéiste d’A History of Violence de David Cronenberg. Cependant, à ne pas savoir réellement utiliser l’ambiance froide qu’il insuffle à son film, Diao Yi Nan propose ici un récit qui fait se côtoyer des scènes infiniment expressives avec un ennui poli, que ne justifie pas sa thématique. Comme si, à l’instar de son héroïne, le réalisateur ne savait pas non plus se soustraire à l’ombre morbide qui plane sur tout Train de nuit.