Troisième film de la jeune réalisatrice franco-iranienne Emily Atef, Tue-moi prouve un talent évident de mise en scène en même temps qu’une forte dépendance au scénario.
À la faveur d’un incendie, lui s’est évadé de prison. Traqué, il fuit dans les forêts allemandes. Il progresse de ferme en petite route, le corps tassé et trapu, le visage renfrogné, gagné par la barbe qui ne laisse apparaître que des plis de peau et les billes blanches de ses yeux qui roulent. La peur et la menace ne tendent pas son corps, elles l’arrondissent comme une boule de caoutchouc ou le dos d’un gros félin. Elle, entame tout juste l’adolescence et veut se suicider. Incapable de faire le pas, elle accepte de l’aider lorsqu’elle le trouve terré dans la maison de ses parents. En échange, il devra la tuer une fois en sécurité. D’ici là elle écoute tant qu’elle peut sa détermination triste et qu’elle parvient mal à transformer en rage. Son visage rond passe de l’enfant à la femme, le corps de l’androgyne aux formes. Sa jeunesse l’ouvre comme une fleur chaque minute parce que chaque minute contient un soleil et un drame.
Tue-moi est l’histoire de ces deux belles détresses, moins de leur rencontre que de leur alliance comme deux bêtes se tolèrent. Emily Atef, jeune réalisatrice dont le travail fait écho à la nouvelle vague allemande, avait signé en 2008 L’Étranger en moi, où une mère ne ressentait pas l’amour prévu à l’arrivée de son enfant. La question du passage à l’acte est omniprésente chez Atef même si, à l’évidence, il ne sera jamais franchi. C’est le fantasme qui pousse jusqu’à la dernière marche avant le vide, qui tourmente les esprits et les excite, et c’est aussi un riche axe dramaturgique. La réalisatrice a le don de rendre l’urgence viscérale et d’inoculer au spectateur l’angoisse des personnages. La réussite de sa mise en scène, à la fois frontale et simple, est peut-être de parvenir à enregistrer les soubresauts avec les creux, les à-côté de la détresse qui la rendent réelle, palpable et plus forte car aléatoire et capable de surgir à tout instant. Tue-moi danse constamment sur une alternance de vifs crescendos et decrescendos qui le rendent haletant.
La détresse des deux personnages est belle, et on louera à égalité la réalisatrice et les acteurs (Maria Dragus, vue dans Le Ruban blanc, et Roeland Wiesnekker) pour la partager si pleinement. Il y a pourtant un problème : le film ne se résume pas à cette détresse, il contient aussi son explication, et elle est maladroite en plus d’être superflue. Les trente premières minutes plantent un décor pesant où dialogues et scénario s’obstinent à justifier les attitudes et à formuler les implicites. La mort du frère n’avait par exemple nul besoin d’être évoquée, et on n’avait à vrai dire aucune envie d’avoir une explication sur l’envie de mourir de la jeune Adele. Emily Atef construit à reculons une situation comme si on l’obligeait, ou par peur d’une plus grande radicalité du récit, avant de s’ébrouer dans la poursuite qui suit, l’affrontement de corps et de regards où plus rien ne compte que l’animalité et les sens affolés. Du coup, à chaque fois que le scénario reprend le dessus – exposition, rencontre avec la femme seule, rencontre avec le frère, scènes du policier devant la maison du frère – le film enchaîne lourdeurs et prévisibilité. Heureusement, Tue-moi est un film qui court et le temps de constater une facilité, le récit déjà est ailleurs pour la faire oublier.