Célimène est un écrivain qui n’arrive plus à écrire. Elle a un appartement dont les travaux ne finissent pas. Son couple n’arrive plus à exister, mais pas non plus à se disloquer tout à fait. Sophie Fillières marche dans le film puis se remet en ligne de départ à chaque scène. Avance dans l’image, recule dans le texte. Réalisatrice, scénariste. Spectateur un coup dedans un coup dehors.
En plus de ses propres films, Sophie Fillières a été la scénariste de Xavier Beauvois pour Nord, de Grandrieux pour Sombre, de Lvovsky et des Larrieu. Côté acteurs elle est familière d’Emmanuelle Devos, on l’a vu avec Lambert Wilson et Bruno Todeschini, et ici Chiara Mastroianni (Célimène), Malik Zidi (Antoine) ou sa fille Agathe Bonitzer (Anaïs). Petite famille du cinéma français en vogue, dont la barque élégante flotte parfois un peu trop mollement sur l’océan plan-plan de nos productions nationales, occultant de son ombre des tentatives moins stables mais d’un plus grand éclat.
Un chat un chat ne joue pas tout à fait volontairement d’un mouvement de va-et-vient mais produit à la vision un flux et reflux sur le film. Propulsé dans la scène, le spectateur n’entre pourtant pas tout à fait puisqu’à la suivante, arrive bien souvent l’impression de repartir à zéro. Rien de très jouissif dans ces allers-retours. On appréciera le décalage, le goût pour l’absurde qui pourrait bien devenir une carte de visite, mais à le creuser un peu tout risque de s’écrouler. Si elle y allait plus franchement, comme Gordon et Abel|entretien avec les réalisateurs Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy pour la sortie de leur film Rumba, le ballet nous emporterait, ou en sens inverse l’absurde pourrait devenir une teinte de fond, discrète mais toujours présente qui imprimerait une ambiance particulière. Or ici c’est un perpétuel entredeux.
En 2005, Fillières étonnait avec Gentille|critique du film Gentille, où l’absurde ne se départait pas du burlesque des situations et de la langue. Un alliage qui en faisait une réussite. Avec Un chat un chat, le goût de l’absurde semble un peu réchauffé, produisant du coup un film tiède. Les corps y semblent moins à l’honneur, même si Mastroianni mais en avant son côté spaghetti pour quelques amusantes gesticulations, comme rentrer dans une poubelle ou ramper sous une bâche qui recouvre tout un appartement pour arriver à se coucher dans son lit. Parallèlement, les dialogues ne tiennent pas autant que dans Gentille, ni les mots ni la manière de les exprimer. Peut-être par peur d’être trop bavarde, ou trop écrit, Sophie Fillières se réfrène. Possible que cette retenue soit une cause de son goût pour les situations visuelles absurdes, une attention au langage corporel afin d’éviter trop de mots. Ce n’est sans doute pas pour rien que Célimène n’arrive plus à écrire, et qu’elle est victime de crises de mutisme. Malheureusement on peut se demander si la réalisatrice – qu’on ne se mettra pas pour autant à détester – ne serait pas dans une phase «~céliménesque~», mais en tentant tout de même un film, armée de son imagination pour des scènes sketches, tiraillée entre trouille de ne pas trouver que dire, et espoir de s’en affranchir en contant le phénomène.
Reste cette quête souvent vue pour s’ouvrir aux autres (chez Desplechin ce serait s’ouvrir tout court), Mastroianni y est plutôt touchante, mais là où des scènes deviendraient les jalons d’un film et des pics d’émotion, elles restent ici flottantes dans le souvenir. Et en poussant le récit vers une résolution des situations floues, Fillières ouvre l’huître Célimène, et rapproche son cinéma d’une tradition hexagonale souvent poseuse : un scénario qui démarre sur le conflit, mais dont la fin a la particularité de reposer sur un apaisement sans qu’on ait finalement vraiment ressenti l’action du changement, seulement son évocation. Et sans une grande finesse du lien milieu/personnage, le film bute sur son scénario. Tiédeur, donc, qui au lieu de confirmer un cinéma original, pousse plutôt à voir en Sophie Fillières une habile costumière. On espère un prochain film en forme de démenti.