C’est ce que l’on appelle un retour par la petite porte. Sept ans après le diptyque Mesrine, récompensé du César du meilleur réalisateur, Jean-François Richet revient avec ce remake d’un film de Claude Berri, Un moment d’égarement, où un homme, au cours d’une soirée alcoolisée, se laisse séduire par la fille mineure de son meilleur ami. Titre malheureux, qui résume très bien ce film embarrassant, dont l’ambition semble inversement proportionnelle au projet que Richet a cultivé pendant ces années de silence, un biopic du général La Fayette avec, là encore, Vincent Cassel dans le rôle principal. Si cette commande (initiée par Thomas Langmann, fils de Claude Berri) apparaît aux antipodes de la filmographie de Richet (et de son goût pour les gangsters et les espaces urbains), le film conserve toutefois ce virilisme propre à son cinéma et ne se détache en définitive d’une imagerie que pour en adopter une autre. Bon symptôme par exemple que cette séquence d’exposition, où une caméra plane au-dessus des flots et d’un ferry conduisant les personnages principaux en Corse. L’image est publicitaire, même touristique : le reflet du soleil sur l’eau argenté, « La Mer » de Charles Trenet qui illustre la scène, le bâtiment qui fend l’écume, etc. On devine l’intention derrière le cliché : ces vacances qui s’annoncent idylliques vont sombrer dans l’enfer du mensonge et des non-dits. Sauf que la mise en scène elle-même est vérolée par les réflexes de la publicité, bien au-delà de cette scène inaugurale, comme en témoignent ces décadrages récurrents, où la caméra délaisse la voiture en route pour admirer la côte corse, pur tic formel que les spectateurs du film pourront retrouver dans les réclames pour automobiles qui précèdent la projection.
L’image et la parure
Cassel lui-même est réduit, dans ce rôle de quadra fougueux, à une image publicitaire qui rappelle la campagne pour une célèbre marque de parfum où l’acteur incarnait, sobrement, « l’homme ». Cette image préconçue de la virilité, c’est celle de Cassel torse nu, dressé dans une eau aux teintes dorées, juste après que la fille de son meilleur ami l’embrasse pour la première fois. Il est le « mâle », comme Cluzet incarne ici le dindon de la farce, soit le parfait idiot qui ne voit rien aux signes qui se multiplient sous ses yeux, mais fait rire l’audience par sa gaucherie et sa bêtise (Cluzet se prend un râteau, Cluzet chasse des sangliers la nuit, Cluzet est bourré, etc.). À vrai dire tous les personnages sont ingrats, de ces trognes corses pittoresques à ces misogynes au poil gris, en passant par leurs filles, caricatures de ce que Richet et sa scénariste, Lisa Azuelos (réalisatrice de LOL), imaginent être la jeunesse d’aujourd’hui. Les signes de contemporanéité (Facebook, les smartphones, le t-shirt barré d’un « selfie » que porte Alice Isaaz) sont aussi lourdement plaqués que les mots d’argot ne sont appuyés (note pour les dialoguistes qui veulent faire « djeuns » : toujours ponctuer l’énonciation d’une phrase – si possible banale et vulgaire – d’un « grave »), si bien que chacun semble calfeutré dans sa petite case sociologique. Il y avait pourtant là un sujet, un vrai : l’ivresse du premier amour qui vire à la psychose, et transforme à son corps défendant une gamine inconsciente en monstre narcissique. Il faudra à la place se contenter d’une comédie dramatique embourgeoisée où chacun reste sagement soumis à son stéréotype.