Langmann + Richet + Cassel = Mesrine, le film. Mais Mesrine, le film égale-t-il Mesrine le personnage? Pas vraiment. Le but ici n’est pas tant d’éclairer d’une nouvelle lumière cinématographique ce personnage controversé mais plutôt d’utiliser sa légende pour redonner un peu de peps et de fraîcheur au polar français. La seconde partie de ce projet ambitieux, L’Ennemi public n°1, sort le 19 novembre. En attendant, qu’en est-il de cet Instinct de mort?
Difficile de faire preuve d’un minimum de compassion pour Thomas Langmann. La position poujadiste qu’il adopta pour défendre son (cala)miteux Astérix aux Jeux Olympiques, en opposant critiques parisiens prétentieux contre braves familles françaises (pendant combien de temps encore aura-t-on droit à ce genre d’ineptie?), dévoila un peu trop clairement la nullité du fond de sa pensée. Cependant, il faut lui reconnaître cette ambition plus que louable de vouloir ranimer le cinéma commercial gaulois, en lui donnant des projets à la fois grand public et coûteux pour mieux résister à l’envahisseur hollywoodien. Seulement, il s’y prend mal et confond film avec coup médiatique, assemblage de capitaux avec frime, concept de départ avec formule. Papa Claude Berrix, lui, sait que la production n’est pas une question de recette miracle, mais d’instinct. C’est donc avec une certaine appréhension qu’on attend ce diptyque sur Mesrine et c’est très rapidement qu’on y décèle le fantasme de son producteur/druide: livrer un biopic sur l’ennemi public numéro 1 dans la grande tradition du polar sauce qualité française, façon saga: Jacques Mesrine, sa vie, son œuvre, ses amours, ses flingues. Tous les ingrédients ont donc été taillés à la serpe d’or pour réussir cette potion magique filmique: casting solide (Depardieu, de France, Duchaussoy etc…) pour les seconds rôles, scénario qui alterne scènes inventées et reconstitutions authentiques, acteur vedette en pleine performance physique (Vincent Cassel) et un réalisateur à la réputation déjà bien établie pour touiller le tout: Jean-François Richet qui revient en France après son honnête mais bien modeste remake du film de John Carpenter, Assaut sur le Central 13.
Le désir de Langmann est clair. Celui de Richet moins. D’emblée, avant même que le générique ne commence, un carton, prudemment, nous avertit: il n’est pas question ici de prétendre à une quelconque vérité sur la personne de Jacques Mesrine. Bien, mais alors à quoi le film prétend-il? Bien malin celui qui pourrait y répondre. Richet cadre avec nervosité, monte avec énergie, met en scène avec efficacité, mais ne filme pas grand-chose. Qu’est-ce qui, par exemple, pousse Mesrine à s’orienter vers le grand banditisme? Est-ce le traumatisme de jeune soldat plongé en pleines horreurs de la guerre d’Algérie (première et pas terrible scène du film)? Est-ce le dégoût que lui inspire le milieu petit-bourgeois passif dont il est issu? Ou tout simplement un certain penchant pour l’aventure? La réponse, il ne faut pas la chercher bien loin, ce n’est pas le film qui nous la livre, mais son titre: « l’instinct de mort ». Réponse probable, crédible, livrée par Mesrine lui-même dans ses mémoires dont s’inspire cet opus, mais, en l’état, un peu sèche. En fait, Richet échoue à faire de cet instinct de mort un principe esthétique en lui donnant une résonance dans sa mise en scène qui questionnerait directement son (anti)héros. Trop illustratif, et pas assez expressif, Richet a bien assimilé les tares de la NQF. Entre lui, Dahan, Kassovitz et Kounen, on pourrait même parler d’une « nouvelle nouvelle qualité Française », chapeautée par Jean-Pierre Jeunet.
Cependant, si cet « instinct de mort » ne parvient pas à devenir cinématographiquement intéressant, il est un très bon moteur de scénario que la réalisation rigoureuse de Richet associée au jeu plutôt convaincant de Cassel (loin de sa désastreuse prestation de Les Promesses de l’ombre) « transforment » (comme on transforme un essai au rugby) en un téléfilm carré, un polar du samedi soir qui se laisse regarder et qui relaterait l’histoire d’un petit gangster un peu plouc, de plus en plus fasciné par lui-même, par son audace et par les failles du système judiciaire, comprenant que de simple truand, il peut devenir une figure médiatique et symbolique. De plus en plus, le cinéma populaire français, que ce soit dans l’épouvantable Faubourg 36, le plombant La Môme ou ce pas trop déshonorant Mesrine, quand il est régi par un budget imposant et le vœu fédérateur de toucher les masses, est voué à la forme un peu restreinte de la télévision, soit la conception la plus désuète, la plus pauvre et la plus inoffensive de ce que peut être le cinéma. Drôle de constat quand même. Nous ne savons pas, comme à Hollywood, transcender les impératifs commerciaux, jouer des codes et des conventions, laisser le film parler de lui-même. Nous n’avons décidément pas su gérer notre tradition du cinéma commercial sans ce précieux héritage des films de studios. Le cinéma français ne s’est pas construit sur un système mais contre lui. On ne sort pas du moule, et on ne le pirate pas de l’intérieur. Et ce moule se réduit de plus en plus. C’est pourquoi on aura beau s’acharner puérilement à concurrencer le cinéma américain sur son propre terrain, ce sera toujours en vain. Le cinéma français a d’autres spécificités à faire valoir, même dans sa frange commerciale. La seconde partie des aventures de Mesrine/Cassel saura-t-elle les trouver? Réponse dans un mois… Mais ne vous faites pas trop d’illusion.