Imparfait, L’Empereur de Paris n’est pour autant dénué ni d’intérêt ni d’ambition. Le film s’ouvre sur un enchaînement rejouant le principe de la chaîne alimentaire : des cafards recouvrent un biscuit, un rat chasse les cafards pour grignoter à son tour les miettes, puis un bagnard abat le rat d’un coup de bâton. Parmi les détenus se trouve Vidocq et son objectif, contrairement aux autres, n’est point de gagner sa part du biscuit, mais d’échapper à sa condition de rat en jouant de ses talents pour obtenir une lettre de grâce. Or, le dernier plan, qui procède lui aussi d’un feuilletage, montre l’impossibilité d’une telle entreprise. Vidocq, d’abord filmé de derrière une grille, s’en va au loin avant que la caméra ne remonte et ne dévoile un agencement de structures aliénantes : l’enceinte du ministère de la Police (dont Fouché est à la tête), au loin l’Arc de triomphe, et au centre le drapeau français, dont les trois lignes rejouent la figure de l’emprisonnement. L’intérêt du film tient à ce qu’il ne fait pas seulement de ce motif le symbole d’une représentation figée du monde (une prison stratifiée où l’individu ne pourrait jamais être complètement libre). Bien plutôt, L’Empereur de Paris envisage l’emboîtement comme le principe de sa narration, ressemblant presque à celle d’une série solidement charpentée : Richet filme avant tout une structure (Paris), constituée de plusieurs couches (Fouché, le directeur de la police, la bande de Vidocq, les malfrats qui se terrent dans les profondeurs) et où chaque décor (les ors des bâtiments officiels, les boudoirs, les bureaux, la rue) permet le déploiement d’une dynamique de conquête.
En dépit de cet attachement à la situation comme moteur du récit, il faut toutefois préciser que le film présente sur ce point deux limites difficilement dépassables : 1) même si L’Empereur de Paris constitue en un sens le remède idéal à Un peuple et son roi, en conciliant le défi de la reconstitution avec un véritable projet d’écriture, il bute sur une même fascination pour une imagerie – ici, les trognes des personnages, truands, bandits, courtisanes et politiciens. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait anodin que les distributions des deux films partagent un cabotin en roue libre redoublant de mimiques et de grimaces outrées : Denis Lavant. 2) Richet a beau tenir un cap précis, le détail des scènes manque souvent de finesse. On pense notamment aux scènes de corps à corps (une au début à bord de la galère, l’autre dans une église), qui jurent avec l’habilité du cinéaste à quadriller un espace pour faire monter une tension travaillant patiemment le surgissement de la violence. Reste que le film ménage toutefois quelques surprises à l’intérieur d’un programme bien ficelé : il en va ainsi du personnage de Denis Ménochet, flic jaloux de Vidocq dont l’impuissance se donne à voir silencieusement et auquel le récit réserve une trajectoire assez inattendue. Enfin, il faut dire un mot sur Cassel, parfait dans ce rôle de bagnard stratège et déterminé qui s’associe de fait avec l’ensemble des forces du récit : l’élan sanguin de l’acteur trouve un équilibre avec cette figure plus politicienne que policière (on peut regretter que l’idée soit soulignée dans une tirade de Fouché), qui cherche en permanence à tracer sa voie au sein d’un espace qui lui est hostile. La cohérence du film lui doit beaucoup, et l’intelligence de Richet est de faire de ce corps technique le pivot des scènes les plus accomplies.