On aurait pu revoir notre jugement sur Park Chan-wook et penser qu’il est un bon cinéaste ne maîtrisant pas encore son art. L’engouement critique pour cet auteur et les prix gagnés par ses films, notamment à Cannes, auraient pu nous convertir. Peut-être faisions-nous erreur. Malheureusement, après la vision de Thirst, on se dit qu’il est définitivement impossible de cautionner un tel cinéma du vide et de la boursouflure sous couvert d’insolence et d’inventivité : la mise en scène de Park Chan-wook est le summum de l’absence de pensée sur les images et sur les thèmes développés ; un art de nerd maladroit qui se contrefout de l’intelligence du spectateur.
Park Chan-wook, déjà deux prix prestigieux à Cannes, peut être aisément classé (avec le tâcheron Gaspar Noé et le Japonais Takashi Miike) au panthéon des réalisateurs/provocateurs surestimés : ses films, particulièrement démonstratifs et redondants, arrivent pourtant à faire illusion auprès d’un large public et de critiques fans d’un cinéma extrême vaguement auteurisant. Pour faire son intéressant, notre auteur nous indique que son film est librement inspiré de Thérèse Raquin d’Émile Zola. Thirst reprend en effet la structure et certains thèmes de l’œuvre de l’écrivain français en y ajoutant une forme fantastique. Il nous raconte l’histoire d’un prêtre qui mute en vampire suite à une transfusion sanguine. Cette transformation provoque chez lui une explosion de testostérones qui l’amène à vouloir s’adonner aux plaisirs de la chair avec Tae-ju, une jeune femme mariée à un homme particulièrement détestable. Prisonnière de sa famille, notamment d’une belle-mère ogresse, elle trouve l’amour et l’attention auprès du prêtre. Les deux tourteaux cherchent alors à assassiner le mari afin de vivre leur passion pleinement. On retrouve ici les grandes lignes du roman : une femme perdue dans une vie qu’elle ne désire pas ; les réunions de famille et d’amis détestables ; les amants maudits qui laissent exprimer leur bestialité. Si le film disserte surtout sur l’affrontement entre les pulsions humaines et la foi, Park nous ressert également cette idée universelle et détestable que les femmes symbolisent le mal, le prêtre étant un enfant de cœur à côté de sa jeune amante qu’il vampirise : elle se révèle très vite une redoutable prédatrice assoiffée de sangs, manipulatrice et incontrôlable. Un brin réactionnaire pour un cinéaste considéré comme audacieux et novateur.
L’idée d’une adaptation libre de Zola semblait intéressante, mais Park Chan-wook, fidèle à lui-même, nous assène ses idées avec une maladresse et une redondance rare durant deux heures interminables. Pour cet auteur, le spectateur n’a pas les capacités intellectuelles nécessaires pour comprendre en une seule séquence les idées complexes exposées. Confronté à notre stupidité, le maître nous martèle ses idées jusqu’à l’indigestion, dans une forme chaotique dont il a le secret. Cela révèle évidemment une absence de réflexion sur la construction narrative du film. On se rappelle du grandiloquent Old Boy entièrement construit sur des effets de style boursouflés et inutiles ; Thirst, qui a gagné le Prix du jury de Cannes − une aberration −, relève de la même inspiration : un amas de plans et d’idées montées de manière brouillonne, pouvant être considéré par certains comme un beau foisonnement d’idées, mais qui masque en réalité une absence totale de réflexion sur le fond et la forme. Si la mise en scène de Park se voulait véritablement cohérente dans son invention avec des figures faisant sens (comme chez les stylistes Mann ou To), on serait plus compréhensif avec notre ami coréen. Malheureusement, ce dernier semble vouloir créer des plans et des séquences selon son humeur du jour : aucune tentative de réflexion et de recul critique sur ce qu’il nous livre ; juste de l’effet. On peut ainsi parler d’assemblage et non de montage, la compilation d’idées annihilant la pensée. Les cinémas d’Asie se caractérisent souvent par une absence de tabous qui laisse libre cours à l’invention audacieuse et à la fusion des genres : on peut passer du mélodrame poétique au gore en un clin d’œil (on pense notamment au cinéma de Hong Kong). Park Chan-wook, s’inscrivant dans cette idée, réalise un cinéma en forme de montagnes russes, qui nous fait passer, sans répit, d’une émotion à une autre. Si cette mécanique fonctionne très bien dans certaines œuvres asiatiques (chez Tsui Hark ou Johnnie To par exemple), l’absence de cohérence de Park provoque un désagréable sentiment d’imposture.
Ce qui choque surtout dans Thirst, c’est que notre réalisateur, particulièrement influencé par les films de série B, ne croit pas en son histoire de vampire. Il joue sur un second degré qui pourrait apparaître comme une tentative de réflexion distancié sur le genre. Cela ne fonctionne pas : l’absurde vaguement auteurisant du réalisateur décrédibilise un film au fond profondément tragique. Il en ressort un déséquilibre flagrant entre les thèmes développés et la forme. En pensant à ce peuvent faire des cinéastes de talents comme Claire Denis avec le fantastique et le vampirisme (son grandiose Trouble Every Day), la comparaison est fatale pour le Coréen : si la française, peu adepte du genre, montre une profonde croyance en son histoire et les mythes dont elle use pour métaphoriser ses thèmes, Thirst ne cesse de s’en moquer et d’en jouer dans une mécanique de l’absurde agaçante. Une magnifique séquence de pet puant, qui nous rappelle la générosité gazeuse du duo Terence Hill et Bud Spencer, résume à elle seule le projet de notre artiste maudit : une bonne scène de pet au beau milieu d’une histoire tragique, ça fait provoque et distancié… Le côté scandaleux du réalisateur est alors plus proche du Dobermann de Jan Kounen (sa célèbre scène d’essuyage de cul avec les Cahiers) que du Je vous salue Marie de Godard. On peut tout de même ressortir de ce chaos filmique quelques plans à la belle poésie. Park, en cinéaste de l’effet, arrive à créer quelques séquences intéressantes, mais qui se perdent malheureusement dans un amas de mauvaises idées répétées à l’infini. Quelques mouvements de caméra mal maîtrisés, de la provocation, des références prestigieuses, du sang et du sexe ne font pas un film. La pseudo-insolence du réalisateur coréen n’est que pur marketing mainstream destiné à s’adresser aux plus grand nombre, des fans de fantastique aux habitués de l’art et essai. Un triste package qui est loin de la belle naïveté dont on affuble souvent ce réalisateur calculateur à l’idiotie déprimante.