À travers ses multiples péripéties, Don’t Look Up dessine une logique narrative en adéquation avec son propos politique, en opposant un duo de scientifiques ayant découvert l’existence d’une comète menaçant de détruire toute vie sur Terre à la force d’inertie d’une sphère économico-politico-médiatique déconnectée. Tout au long du film, cette dernière apparaît constamment repliée sur elle-même et incapable de prendre en compte les événements venant contrecarrer sa folle course vers l’accumulation – qu’il s’agisse d’un capital, de pouvoir ou de célébrité. Un tel scénario apocalyptique ne saurait certes être exclu dans l’absolu, mais ce qui intéresse manifestement Adam McKay est plutôt de proposer, par le truchement de la caricature, un apologue sur la crise écologique et l’absurde inaction qu’elle suscite chez les plus hauts responsables de ce monde. Si par son imminence (environ six mois dans le film), la collision entre la comète et la Terre permet de modéliser le réchauffement climatique en vitesse accélérée, le procédé de rétrécissement temporel engendre paradoxalement un effet de « grossissement » pédagogique par lequel les tenants et les aboutissants du problème se retrouvent amplifiés jusqu’à l’outrance.
Caricature non-caricaturale
Renouant en partie avec l’univers de la comédie pure et dure où il a fait ses armes (Frangins malgré eux, Very Bad Cops…), McKay exploite plus ouvertement que dans ses deux précédents films (The Big Short et Vice) le potentiel comique de sa satire politique, là où son biopic de Dick Cheney prêtait plus à grincer des dents qu’à rire de bon cœur. Mais cette trivialité comique, qui repose sur une exubérante direction d’acteurs à contre-emploi, ne vise pas seulement à enrober le remède critique du doux miel de la comédie : elle permet surtout de rendre toute leur trivialité morale aux idoles de ce monde, ce qui permet de saper du même coup l’hyper-rationalité dont elles se revendiquent.
Sur le plan proprement politique, Don’t Look Up charme avant tout par l’écriture de son intrigue et de ses personnages, qui permettent à McKay de faire œuvre de simplification sans pour autant tomber trop grossièrement dans l’écueil du simplisme. En témoigne exemplairement le personnage de Peter Isherwell (Mark Rylance), multimilliardaire et champion des hautes technologies qui emprunte à la fois à Elon Musk (par son ambition à la fois démiurgique et adolescente), à Mark Zuckerberg et à Jeff Bezos (à la fois par l’étendue extrême de sa richesse et par la folie des solutions qu’il envisage pour sauver la Terre) : le prélèvement de ces traits élémentaires permet d’en faire un véritable archétype du techno-milliardaire de la Silicon Valley. Le personnage, à l’image des autres, est d’autant plus convaincant qu’il est porté par un acteur très inspiré : Rylance adopte une gestuelle quasiment robotique et une voix mielleuse méconnaissable qui font toute son inquiétante étrangeté. Il n’y a évidemment rien de révolutionnaire dans ce portrait de milliardaire, mais dans ses meilleurs moments, le film touche à cette justesse politique qui fait la saveur des meilleures caricatures.
C’est cette même justesse qu’atteint la dynamique conflictuelle structurant l’intrigue : d’abord découverte avec la pureté des procédures scientifiques, la sinistre vérité mise au jour par Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) se voit ensuite systématiquement mise à mal par une sphère publique cherchant à minimiser son impact pour continuer de tourner à vide. Ce que montre McKay par ce principe scénaristique, c’est que la catastrophe écologique n’a aucunement été sujette à une prise de conscience pacifique, mais qu’elle a d’abord fait l’objet d’une inconscience organisée par ceux dont elle contrarie les ambitions, contre laquelle la lutte pour la vérité n’est jamais terminée.
Les pièges de l’efficacité
Si Don’t Look Up ne suscite toutefois pas complètement l’adhésion, c’est parce que le film semble parfois légèrement entravé par les réflexes mêmes qu’il cherche à dénoncer : en s’invitant plus nettement sur le terrain du tragique dans sa conclusion apocalyptique, McKay se montre clairement moins à l’aise avec cette tonalité, qui rend aussi bien plus criante les faiblesses d’une mise en scène que les saillies humoristiques ne viennent pas faire oublier. En se subordonnant totalement à l’intrigue et aux acteurs, cette dernière se fait pur moyen de communication, tombant dans le piège d’une dictature de l’immédiateté et de l’instantané dont la condamnation est pourtant au cœur du long-métrage. Le montage quasiment épileptique, empilant les plans dans un flux permanent comme par peur d’ennuyer, n’est d’ailleurs pas sans manifester une certaine connivence avec le rythme de la médiasphère que dépeint le film. Si en inondant les plans d’interfaces numériques, Don’t Look Up montre efficacement comment le système médiatique « fait écran » entre les individus et le réel, la forme qu’adopte le film peine à décoller de ce monde d’abstractions et donc à vraiment donner chair à la crise écologique : McKay ne parvient in fine à tourner en dérision le traitement public de cette question qu’en restant sur un terrain purement discursif. Pour combler ce manque, il injecte dans le film quelques étranges séquences qui juxtaposent rapidement des images de la « nature » issues du monde entier, mais qui trahissent surtout une réelle difficulté à ne pas filmer le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité comme des problèmes lointains, alors que l’intrigue du film vise justement à en rapprocher le spectateur. C’est cette ambivalence globale face à l’objet de sa critique qui empêche Don’t Look Up de condamner l’inaction collective aussi radicalement qu’il le voudrait.