Jake Scott, fils de Ridley, réalise depuis quinze ans des clips pour de multiples artistes de la culture pop rock et des films publicitaires pour des marques en tous genres, faisant preuve d’un certain talent dans ces exercices de styles particuliers. Dix ans après le déjanté et oubliable Guns 1748, Welcome to the Rileys constitue sa seconde incursion dans le cinéma de fiction. Avec un tel bagage, on pouvait craindre une esthétique MTV et un traitement racoleur pour cette histoire de relation platonique mais néanmoins ambiguë entre un quinquagénaire fatigué et une prostituée mineure. Mais Jake Scott a opté pour la simplicité, laissant en grande partie aux acteurs la charge de construire la profondeur d’un film émouvant mais fragile.
Depuis la disparition de sa fille, la vie de Lois Riley s’est arrêtée. Coquille vide, elle s’est retranchée dans son chagrin, protégée par les murs d’une maison qu’elle ne parvient plus à quitter. Aux côtés de cette épouse froide et silencieuse, Doug survit comme il peut depuis huit ans. Sa relation avec une belle serveuse noire lui permet de préserver un semblant de vie. Bien plus qu’un doux frisson, il a surtout trouvé en elle une confidente essentielle à son équilibre. Mais le décès brutal de cette amie le ramène à une solitude inéluctable, d’autant plus pesante qu’il doit garder cette nouvelle douleur silencieuse. Un déplacement professionnel le conduit à La Nouvelle-Orléans où il esquive une soirée entre collègues en se réfugiant dans une boîte de striptease. Doug rencontre ainsi la jeune et provocante Mallory : sa douceur lui saute aux yeux malgré la crudité désarmante de son langage. Fasciné par la jeune fille, il va prolonger son séjour en Louisiane et prendre de soin de cet être aussi perdu que lui. Convaincue que son mari passe du bon temps avec sa maîtresse, Lois surmonte son agoraphobie extrême pour le rejoindre, effrayée par la perspective d’une solitude totale et définitive.
Dans une Nouvelle-Orléans crasseuse et sombre, forme de non-lieu désormais hanté par le souvenir tragique et honteux du « drame Katrina », les personnages de Jake Scott ne peuvent que se perdre et se morfondre. C’est donc dans ce nouveau cercle de l’enfer cinématographique (brillamment exploité par Werner Herzog dans sa version récente de Bad Lieutenant) qu’ils vont enfin retrouver la respiration dont ils (s’)étaient privés. Au-delà de l’intérêt de ce cadre disgracieux mais intrigant, Welcome to the Rileys attire surtout par son casting juste parfait. Le film n’existerait pas sans lui et mise d’ailleurs tout sur lui. Le coup de poker est réussi, puisque la performance des interprètes est remarquable. Mais leur qualité vient masquer la fadeur d’une réalisation qui pèche par manque de détermination, en particulier dans toute la partie tournée à La Nouvelle-Orléans. Au départ, la mise en scène souligne l’incapacité d’un couple à communiquer dans la froideur d’une banlieue pavillonnaire. Chacun se réfugie dans une pièce différente pour pleurer en secret, sans parvenir à pénétrer l’espace de l’autre, pas plus qu’à exprimer frontalement sa douleur. Le champ de la caméra isole les personnages l’un à côté de l’autre. Une fois en Louisiane, elle devient moins précise, pour demeurer en retrait, comme fascinée par la présence même du corps des acteurs. Elle se laisse porter par les mouvements lents mais impressionnants du corps massif de James Gandolfini, qui vient donner une forme concrète à la souffrance de Doug Riley.
Certes, il est agréable de voir l’acteur s’épanouir à l’écran : depuis la fin de la série The Sopranos (David Chase, 1999 – 2007), le Parrain charismatique n’avait pas trouvé de vrai premier rôle. Welcome to the Rileys lui offre la possibilité de dévoiler une belle sensibilité avec une économie de gestes fascinante. Face à lui, le corps fin de Kristen Stewart paraît encore plus frêle. Et la jeune femme de convaincre enfin de ses capacités de comédienne ! Récemment, Les Runaways (Floria Sigismondi, 15 septembre 2010) annonçait les débuts balbutiants d’un vrai travail d’interprétation, après une saga Twilight où la demoiselle demeurait statufiée par la vacuité du personnage de Bella. Si Kristen Stewart était une Joan Jett plutôt caricaturale, elle propose cette fois-ci une composition convaincante. Elle joue sur les effets de rupture pour construire une Mallory engoncée dans un rapport ambigu à son propre corps, oscillant entre la lascivité érotique, la raideur sauvage et le bondissement enfantin. On n’ira pas jusqu’à dire qu’une étoile est née, mais on a maintenant envie de croire en la lueur vacillante allumée par Jake Scott. Espérons que d’autres sauront l’entretenir.
Si la relation « filiale » entre Mallory et Doug est présentée comme le cœur du film, le personnage de l’épouse brisée retient presque davantage l’attention. Sous les traits sensibles de Melissa Leo, Lois apparaît comme une créature aux accents ibséniens, prisonnière d’une maison où les poupées prennent la poussière. Obsédée par une coiffure laquée au cheveu prêt, elle incarne une domesticité expiatoire : la récurrence des plans où elle est filmée de dos ou enfermée par l’encadrement d’une fenêtre vient souligner la pression infligée à ce corps éteint et pénitent. Mais le délabrement psychologique de Lois est aussi instrumentalisé de façon maladroite dans une scène suscitant un rire inattendu, presque déplacé, perturbant l’identité d’un film bâti sur une sensibilité élégante. Quand l’épouse esseulée décide de vaincre son angoisse de l’extérieur, cette étape cruciale de sa renaissance est traitée sur un mode comique inattendu. Après s’être littéralement battue avec un véhicule bourré d’électronique pour rejoindre La Nouvelle-Orléans, Lois se transforme en véritable marionnette. Elle n’est plus esclave de son espace domestique, mais asservie aux fantasmes paternels d’un mari complètement paumé…
Dans Welcome to the Rileys, la parole est souvent redondante, comme lors des scènes où Lois et Mallory évoquent le souvenir de leurs défunts dans une complicité féminine artificielle (et donc éphémère). On entend une parole hésitante, maladroite, empreinte de naïveté, alors qu’on a déjà tout compris de leur passé. L’effet de surlignage ainsi produit prend le risque d’alourdir le rythme du film. Il apparaît cependant comme un mal nécessaire pour signifier la violence des mots qu’il faut s’imposer à soi-même pour progresser dans un travail de deuil, difficile à commencer vraiment et impossible à achever pleinement. Sélectionné aux festivals de Deauville et Sundance, Welcome to the Rileys est un petit film modeste, dont la sincérité et la simplicité parviennent à l’emporter sur une fragilité qui ne peut être complètement ignorée.